Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/355

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laisser l’agresseur impuni ! » Non, il ne le sera pas, quand vous le voudriez. La plus grande punition du mal est de l’avoir fait, et le plus rigoureux châtiment est celui dont on laisse le soin à nos remords ; enfin il faut avoir égard à la condition des choses d’ici-bas pour juger avec équité tous les accidents auxquels elle est sujette : ce serait être injuste que de faire un crime aux individus des torts de l’espèce. Un teint noir ne se remarque point en Éthiopie, pas plus que chez les Germains une chevelure rousse et rassemblée en tresse ; en un mot, vous ne trouvez pas étrange ou messéant chez un individu ce qui est de mode dans son pays. Chacun des exemples que je cite n’a pour lui que l’usage d’un seul pays, d’un coin de la terre ; voyez donc s’il n’est pas plus juste encore de faire grâce à des vices qui sont de tous les pays, et de tous les peuples. Nous sommes tous inconsidérés et imprévoyants, tous irrésolus, moroses, ambitieux, ou plutôt, pour ne pas déguiser sous des termes adoucis la grande plaie de l’humanité, nous sommes tous méchants. Ce qu’il blâme chez autrui, chacun le retrouve en son propre cœur. Pourquoi noter la pâleur de l’un, l’amaigrissement de l’autre, quand la peste est chez tous ? Soyons donc entre nous plus tolérants : nous sommes des méchants qui vivons parmi nos pareils. Une seule chose peut nous rendre la paix : c’est un traité d’indulgence mutuelle. Cet homme m’a offensé et je n’ai pas pris ma revanche ; mais déjà peut-être vous avez blessé quelqu’un, ou le blesserez.

XXVII. Ne jugez pas sur ce que vous êtes à l’heure ou au jour présent ; interrogez l’état habituel de votre âme ; n’eussiez-vous point commis le mal, vous pourrez le commettre. Ne vaut-il donc pas mieux guérir une injure que la venger ?