Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/356

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La vengeance absorbe beaucoup de temps, et nous expose à une foule d’offenses, pour une seule qui nous pèse. Nous ne sommes frappés qu’un instant, et notre colère est si durable ! Ah ! plutôt, quittons le champ des disputes : ne mettons pas aux prises vices contre vices. Vous semblerait-il dans son bon sens l’homme qui voudrait rendre à la mule un coup de pied, au chien un coup de dent ? — Non, car la brute ne sent pas qu’elle fait mal. — Mais d’abord quelle injustice que le titre d’homme soit un obstacle au pardon, et qu’ensuite vous absolviez les êtres privés de réflexion, quand vous devez mettre sur la même ligne qu’eux tout homme en qui la réflexion manque ! Car qu’importe qu’il diffère d’ailleurs de la brute, si l’excuse de la brute dans le tort qu’elle vous cause est la même pour lui, l’absence de discernement ? Il a fait une faute ! eh bien, est-ce la première ? sera-ce la dernière ? Ne le croyez pas quand il jurerait qu’il n’y retombera plus. II vous blessera encore et d’autres le blesseront, et la vie humaine tournera toujours dans un cercle de fautes. Soyons doux avec les êtres qui le sont le moins.

Ce que l’on dit à la douleur peut très utilement se conseiller à la colère. Cessera-t-elle un jour ou jamais ? Si elle doit cesser un jour, n’aimerons-nous pas mieux la quitter que d’attendre qu’elle nous quitte ? Si elle doit n’avoir pas de terme, voyez quelle éternelle guerre vous vous déclarez à vous-même ! quel état que celui d’un cœur incessamment gonflé de fiel !

XXVIII. Ajoutez qu’à moins d’allumer vous-même le feu de votre colère, et de renouveler sans cesse ce qui peut l’attiser, elle se dissipera d’elle-même et perdra chaque jour de sa véhémence : or, n’y a-t-il pas plus de mérite à l’étouffer qu’à