Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/357

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la laisser s’éteindre ? Votre colère s’attaque à tel homme, puis à tel autre ; de vos esclaves elle retombe sur vos affranchis, d’un parent sur vos enfants, de vos connaissances sur des inconnus ; car les motifs surabondent toujours là où le cœur n’intercède pas. Alors la passion vous précipite sur mille points opposés, et trouvant de nouveaux stimulants à chaque pas, vos rancunes ne s’arrêteront plus ; malheureux ! quand donc aimerez-vous ? Que de beaux jours perdus à mal faire ! Qu’il serait plus doux, dès à présent, de s’attacher des amis, d’apaiser ses ennemis, de servir l’État, de veiller à ses affaires domestiques, au lieu d’épier péniblement le mal qu’on peut faire à son semblable, et les moyens de le blesser dans sa dignité, son patrimoine ou sa personne, tristes victoires qui ne s’obtiennent jamais sans péril ni combat, l’adversaire vous fût-il inférieur en force ? Vous le livrât-on pieds et poings liés, pour lui faire subir tous les supplices qu’il vous plairait d’infliger : souvent le lutteur qui frappe trop violemment se déboîte les articulations du bras, et engage son poing dans la mâchoire même de l’adversaire dont il a brisé les dents. Combien la colère a fait de manchots et d’infirmes, lors même que leurs coups n’éprouvaient aucune résistance ! D’ailleurs il n’est point d’être si faible, qu’on puisse l’écraser sans risque. Parfois l’excès des tourments ou le hasard rend les plus débiles égaux aux plus forts. Disons-le encore : presque tous les sujets qui nous fâchent sont plutôt des déplaisirs que des torts réels. Il y a loin pourtant entre ne pas servir nos projets et y faire obstacle, entre ne pas nous donner et nous ôter. Et nous mettons sur la même ligne un vol ou un refus, une es-