Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/364

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de famille. Pourquoi ces cris, ces vociférations, ces fouets que tu demandes au milieu du festin ? Pour un mot d’un valet, parce que dans cette salle, aussi pleine qu’un forum, ne règne pas le silence d’un désert ? Ton oreille n’est-elle faite que pour entendre de molles harmonies et des sons mélodieusement filés ? Sois prêt à entendre les ris et les pleurs, les compliments et les reproches, les bonnes et les fâcheuses nouvelles, la voix humaine, aussi bien que les cris des animaux et que les aboiements. Quelle misère de te voir tressaillir au cri d’un esclave, au bruit d’une sonnette, d’une porte où l’on frappe ! Délicat comme tu l’es, il te faudra bien supporter les éclats du tonnerre.

Ce que je dis des oreilles, tu peux l’appliquer aux yeux. Les yeux ne sont ni moins malades, ni moins capricieux que les oreilles, quand on les a mal disciplinés. Ils sont blessés d’une tache, d’un grain de poussière, d’une pièce d’argenterie qui reluit moins qu’un miroir, d’un vase d’airain qui ne réfléchit pas les rayons du soleil ; tu ne souffres que des marbres tout variés d’accidents et fraîchement polis, que des tables marquées de mille veines ; tu ne veux chez toi fouler que tapis enrichis d’or ; et, hors de chez toi, tes yeux se résignent très-bien à voir des pavés raboteux et inondés de boue, des passants la plupart salement vêtus, les murs des maisons minés par le temps, inégaux et menaçant ruine.

XXXVI. Pourquoi ne s’offense-t-on pas en public de ce qui choque au logis ? C’est qu’au dehors notre esprit est monté au ton de la douceur et de la patience, et dans notre intérieur, sur celui du chagrin et de l’humeur. Il faut raffermir, endurcir tous nos sens ; la nature les a formés pour souffrir ; c’est notre âme qui les corrompt : aussi faut-il chaque