Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/387

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occupés, on ne peut supporter sa maison, sa solitude, son intérieur ; et l’âme, livrée à elle-même, ne peut s’envisager. De là cet ennui, ce mécontentement de soi-même, cette agitation d’une âme qui ne se repose sur rien, enfin la tristesse et cette inquiète impatience de l’inaction ; et comme on n’ose avouer la cause de son mal, la honte fait refluer ces angoisses dans l’intérieur de l’âme ; et les désirs, renfermés à l’étroit dans un lieu sans issue, se livrent d’affreux combats. De là la mélancolie, les langueurs et les mille fluctuations d’une âme indécise, toujours en doute de ce qu’elle va faire, et mécontente de ce qu’elle a fait ; de là cette malheureuse disposition à maudire son repos, à se plaindre de n’avoir rien à faire ; de là cette jalousie ennemie jurée des succès d’autrui. En effet, l’aliment le plus actif de l’envie, est l’oisiveté mécontente ; l’on voudrait voir tout le monde tomber parce qu’on n’a pu s’élever. Bientôt, de cette aversion pour les succès d’autrui, jointe au désespoir de pousser sa fortune, naît l’irritation d’une âme qui maudit le sort, qui se plaint du siècle, qui s’enfonce de plus en plus dans la retraite, qui se cramponne à son chagrin, le tout, parce qu’elle est ennuyée, excédée d’elle-même.

De sa nature, en effet, l’esprit humain est actif et porté au mouvement : toute occasion de s’exciter et de se distraire lui fait plaisir, et plaît encore plus à tout esprit méchant, pour qui la variété des occupations est un frottement agréable. Certains ulcères, par le plaisir que l’attouchement leur cause, appellent la main qui les irrite ; les galeux aiment qu’on les gratte, bien qu’il doive leur en cuire : il en est de même, j’ose le dire, des âmes dans lesquelles les désirs ont fait éruption, comme des ulcères malins ; la peine et l’agitation leur procurent une sensa-