Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/399

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grands corps sentent aussi bien que les petits la douleur de blessures. Bion a dit avec esprit : « Ceux qui ont une belle chevelure, ne souffrent pas plus volontiers que les chauves qu’on leur arrache les cheveux. » Tenez donc pour certain que chez les riches comme chez les pauvres, le regret de la perte est le même ; pour les uns comme pour les autres, leur argent leur tient si fort à l’âme, qu’on ne peut le leur arracher sans douleur. Il est donc plus facile et plus supportable, comme je l’ai dit, de n’avoir rien acquis que d’avoir perdu ce que l’on possède : aussi les personnes que la fortune n’a jamais regardées d’un air favorable, vous paraîtront toujours plus gaies que celles qu’elle a abandonnées. Diogène, qui avait certainement une grande âme, l’avait bien compris ; et il s’arrangea de manière à ce qu’on ne pût lui rien ôter. Appelez cela pauvreté, dénûment, misère, et donnez à cet état de sécurité la qualification avilissante que vous voudrez, je ne cesserai de croire à la félicité de Diogène, que quand vous pourrez m’en montrer quelque autre qui n’ait rien à perdre. Je suis bien trompé, si ce n’est être roi que de vivre parmi des avares, des faussaires, des larrons, des receleurs d’esclaves, et d’être le seul à qui ils ne puissent faire tort. Douter de la félicité de Diogène, ce serait douter aussi de la condition et de l’état des dieux immortels, et croire qu’ils ne sont pas heureux, parce qu’ils ne possèdent ni métairies, ni jardins, ni champs fertilisés par un colon étranger, ni capitaux rapportant gros intérêts sur la place.

Quelle honte de s’extasier à la vue des richesses ! Jetez les yeux sur cet univers, vous verrez les dieux nus, donnant tout, et ne se réservant rien. Est-ce donc, à votre avis, devenir pauvre que de se rendre semblable aux dieux en se dépouillant