Page:Sénèque - Œuvres de Sénèque le philosophe, Tome 2, trad Baillard et du Bozoir, 1860.djvu/403

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est un vice. Pourquoi cette indulgence exclusive pour un homme qui, tout glorieux de ses armoires de cèdre et d’ivoire, recherchant les ouvrages d’auteurs inconnus ou méprisés, bâille au milieu de ces milliers de livres, et met tout son plaisir dans leurs titres et dans leurs couvertures ? Chez les hommes les plus paresseux, vous trouverez la collection complète des orateurs et des historiens, et des rayons de tablettes élevés jusqu’aux combles. Aujourd’hui les bains mêmes et les thermes sont garnis d’une bibliothèque : c’est l’ornement obligé de toute maison. Je pardonnerais cette manie, si elle venait d’un excès d’amour pour l’étude ; mais aujourd’hui, on ne se met en peine de rechercher les chefs-d’œuvre et les portraits de ces merveilleux et divins esprits, que pour en parer les murailles.

X. Mais vous vous êtes trouvé jeté dans un genre de vie pénible, et sans qu’il y ait de votre faute ; des malheurs publics, ou personnels, vous ont imposé un joug que vous ne pouvez délier ni briser. Songez alors que ceux qui sont enchainés ont d’abord de la peine à supporter la pesanteur et la gêne de leurs fers ; mais dès qu’une fois, renonçant à une fureur impuissante, ils ont pris le parti de souffrir patiemment ces entraves, la nécessité leur apprend à les porter avec courage, et l’habitude légèrement. On peut, dans toutes les situations de la vie, trouver des agréments, des compensations et des plaisirs, à moins que vous ne préfériez vous complaire dans une vie misérable, au lieu de la rendre digne d’envie.

Le plus grand des services que nous ait rendus la nature, c’est que, sachant à combien de misères nous étions prédestinés, elle a placé pour nous l’adoucissement de tous les maux dans l’habitude, qui bientôt nous familiarise avec les choses les