Page:Sénèque - De la vie heureuse.djvu/108

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bien le loisir de scruter les faibles d’autrui, de vous faire juges de qui que ce soit ? « Pourquoi ce philosophe est-il si largement logé ? Pourquoi ce sage a-t-il si bonne table ? » Vous prenez garde aux pustules d’autrui, vous, sillonnés de tant d’ulcères. C’est comme qui rirait des taches rares d’un beau corps ou des moindres verrues, quand une lèpre hideuse le dévorerait lui-même. Reprochez à Platon d’avoir demandé de l’argent, à Aristote d’en avoir reçu, à Démocrite de s’en être peu soucié, à Épicure de l’avoir dissipé ; reprochez-moi sans cesse Alcibiade et Phèdre. O trop heureuse la vie dont vous jouirez, le jour où il vous sera donné d’imiter nos vices ! Que ne tournez-vous plutôt votre clairvoyance sur ces mauvaises passions qui de tous côtés vous poignardent, les unes vous assaillant du dehors, les autres consumant jusqu’à vos entrailles ? Non, les choses humaines n’en sont pas à ce point que, malgré l’ignorance où vous êtes de votre situation, vous ayez du loisir assez pour exercer vos langues à insulter qui vaut mieux que vous. »


XXVIII. « Voilà ce que vous ne comprenez pas ; vous portez un visage malséant à votre fortune, comme tant d’autres, tranquillement assis au cirque ou au théâtre, quand déjà leur