Page:Sénèque - De la vie heureuse.djvu/92

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ceux qui tendent la main vers l’aumône. Car qu’importe qu’on manque d’un morceau de pain, quand le pouvoir de mourir ne manque pas ? Que dirai-je pourtant ? Que cette maison opulente, je la préfère au pont Sublicius. Placez-moi sur des tapis splendides, au milieu des recherches de la mollesse, je ne m’en croirai nullement plus heureux pour avoir un manteau moelleux et, dans mes festins, la pourpre pour lit. Un changement m’enlève tout le luxe : je ne serai en rien plus à plaindre, si je n’ai qu’une poignée de foin pour reposer ma tête fatiguée, et, pour dormir, qu’un paillasson du cirque dont la bourre s’échappe par les reprises d’une vieille toile. Que dirai-je encore ? Que j’aime mieux montrer ma valeur morale sous la prétexte ou la chlamyde, que les épaules nues ou à demi-couvertes. Que tous mes jours s’écoulent à souhait, que des félicitations nouvelles s’enchaînent aux précédentes félicitations, je ne m’en ferai pas accroire pour cela. Changez en rigueur cette indulgence du sort : que de toutes parts mon âme ait à subir des pertes, des chagrins, des assauts de tout genre ; que chaque heure m’apporte son sujet de plainte : non, au milieu des plus grandes misères, je ne me dirai pas misérable ; non, je ne