Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/20

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cisément ce que c’est qu’une bonne tragédie. La Harpe le savait ; mais on ne le sait plus guère depuis lui. La tragédie est chose humaine et suit le mouvement des sociétés. Si les hommes du siècle de Louis XIV voyaient dans la tragédie grecque le type et la perfection du genre, pourquoi ne l’ont-ils pas mieux imitée ? pourquoi même sont-ils plus redevables au tragique romain, pour lequel assurément ils ne cachaient pas leur mépris ? C’est que, dans ce dernier, il y avait à la fois décadence et progrès, et que, tout en exaltant la belle simplicité du théâtre d’Athènes, nos grands poètes sentaient profondément la différence des temps et les conditions particulières de leur époque : Corneille, Racine, Voltaire ont imité Sénèque en mille endroits, sans en rien dire, tandis qu’ils parlaient beaucoup de Sophocle et d’Euripide, qu’ils n’imitaient pas. Un examen comparé de la Phèdre grecque, de l’Hippolyte latin et de la Phèdre de Racine, mettrait cette vérité dans tout son jour. En retranchant de la dernière tout ce qui est moderne, tout ce qui est français, on y trouvera la pièce latine, comme, en ôtant de celle-ci tout ce qui est romain, tout ce qui est du siècle de Néron, il n’en restera plus que les élémens primitifs de la tragédie grecque. Voilà comment nous concevons la difficulté d’établir un jugement juste en cette matière, et de prononcer en dernier ressort et d’une manière absolue sur le mérite des trois tragédies dont il s’agit. Ce qu’il y a de mieux à dire, c’est que chacun d’eux a été le meilleur en son temps, puisqu’il en exprimait la vie et les idées. Nous concevons la supériorité de la Phèdre de Racine sur celle de Pradon,