Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/24

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« Les heureux larcins qu’on a faits à Sénèque font voir que, comme poète, il n’est pas indigne d’attention ni de louange ; mais le peu de réputation qu’il a laissé en ce genre, et le peu de lecteurs qu’il a eu, sont la preuve de cette vérité, toujours utile à mettre sous les yeux de ceux qui écrivent, que ce n’est pas le mérite de quelques traits semés de loin en loin qui peut faire vivre les ouvrages, et qu’il faut élever des monumens durables, pour attirer les regards de la postérité. »

On peut reprocher néanmoins à cet habile critique de ramener à un point de vue moderne le jugement qu’il porte sur un écrivain de l’antiquité, quand il parle de connaissance du théâtre et du style qui convient à la tragédie. Qu’est-ce que le théâtre ? est-ce quelque chose dont on connaisse le type nécessaire, éternel, invariable ? Non, certes. Cette parole de La Harpe ne signifie donc rien autre chose, sinon que le tragique latin ne concevait pas la tragédie comme les modernes l’ont conçue plus tard. Les Grecs non plus ne la concevaient pas comme nous, et sous ce rapport ils méritent de la part du critique la même condamnation. Il faut en dire autant sur le style qui convient à la tragédie. Racine admirait certainement celui de Sophocle, mais il ne l’imitait pas ; s’il eût fait dire, par exemple, à quelqu’un de ses personnages ce que le prince des tragiques grecs a mis dans la bouche de Déjanire[1] : Hercule m’a donné plusieurs enfans ; mais à leur égard il est tel qu’un laboureur qui, devenu possesseur d’un champ dans une

  1. Sophocle, Trachiniennes, acte I, sc. 1.