Page:Sénèque - Tragédies, trad. Greslou, 1834, t. 1.pdf/25

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terre éloignée, n’y paraît qu’au temps des semences et de la moisson, » la justesse de la comparaison n’eût pas empêché le public français d’en rire et de trouver que l’auteur n’entendait rien au style qui convient à la tragédie. Autre temps, autre goût. Cent ans avant Racine, un de nos vieux poètes, Robert Garnier, ne craignait pas de comparer la trace du sang d’Hippolyte à celle d’un limaçon :

Comme on voit un limas qui rampe adventureux
Le long d’un sep tortu laisser un tract glaireux.

Sa pièce était reçue avec enthousiasme : on trouvait que c’était là le vrai style de la tragédie ; Ronsard, l’aristarque du temps, proclamait la gloire immortelle de l’auteur, et le docte Amyot le félicitait en vers latins.

Ce n’est pas certes que nous ne trouvions rien à redire au style de Sénèque, il s’en faut même beaucoup. Mais, pour le juger, nous le comparons avec celui de Virgile ou d’Horace, et, sans prétendre définir le langage propre à la tragédie, nous disons que l’auteur est homme de la décadence, et qu’il écrit comme on écrit à ces époques. Son style est une ombre qui fait ressortir la lumière du grand siècle, comme celui de nos écrivains du jour met en relief la gloire de nos grands maîtres. Parvenue à son plus haut degré de puissance et d’unité, la pensée humaine s’affaiblit et se divise ; un certain trouble se répand dans les idées, et les esprits défaillans ne savent plus rien concevoir avec cette netteté, cette plénitude, cette puissance de vue, dont la condition première est le calme intellectuel. C’est un malheur dont