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Page 319. La toile s’échappe de mes mains. Voilà ce que la Phèdre grecque et latine pouvaient dire sur la scène, mais ce que Racine s’est bien gardé de mettre dans la bouche de la sienne.

Tous les sujets, vieux ou modernes, sont empreints de la couleur du temps où ils sont représentés, et tout admirateur des anciens qu’était Racine, il est toujours de son siècle, par ce qu’il dit et par ce qu’il ne dit pas. La cour de Louis XIV eût trouvé Phèdre souverainement ridicule de venir dire sur la scène que depuis son amour elle ne sait plus ni coudre ni broder. C’est la même Phèdre néanmoins que celle d’Euripide et de Sénèque. Sans doute, mais dix-huit siècles l’ont un peu changée ; et pour qui sait voir au fond des choses, Racine est moderne dans son imitation de l’antiquité.

Quelle fureur te fait aimer l’ombre des forêts ? Racine doit à Sénèque plus qu’on ne pense ; nous en donnerons la preuve par quelques citations.

Dieux que ne suis-je assise à l’ombre des forêts !
Quand pourrai-je, au travers d’une noble poussière,
Suivre de l’œil un char fuyant dans la carrière !
(Racine, Phèdre, acte i, sc. 3.)

On remarquera toutefois la différence de la femme antique et de la femme moderne. Phèdre, dans Sénèque, parle de poursuivre les bêtes féroces à la course, de lancer des traits de ses propres mains ; elle veut se faire chasseresse. Dans Racine, elle veut seulement s’asseoir à l’ombre des forêts pour suivre de l’œil Hippolyte, ou le voir voler sur son char.

Je reconnais la funeste passion qui égara ma mère.

Je reconnais Vénus et ses feux redoutables.
D’an sang qu’elle poursuit tourmens inévitables.
(Acte i, sc. 3.)

O ma mère, combien tu me parais digne de pitié ! Voyez Euripide, Hippolyte, acte ii, sc. 2, v. 337 ; et Racine, Phèdre, acte i, sc. 3 :

O haine de Vicus ! ò fatale colère !
Dans quels égaremens l’amour jeta na mère !