Page:Sénèque - Tragédies (éd. Cabaret-Dupaty), 1863.djvu/147

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Je connais trop ma destinée : cette vertu ne peut exister que pour me perdre. S'il en était autrement, la nature changerait ses lois : les fleuves remonteraient vers leur source, le flambeau du jour amènerait la nuit, et l'étoile du soir nous rendrait le jour. Pour ajouter encore à mes malheurs, je trouverai la vertu dans ma famille. Ah ! L’unique salut d'Œdipe, c'est de n'en point attendre. Laissez-moi venger mon père encore sans vengeance. Ô mon bras, que tardes-tu à me punir ? Ce que tu as fait jusqu'ici n'a été que pour venger ta mère. Laisse aller ma main, courageuse. Tu ne fais que différer ma mort, et prolonger les funérailles de ton père encore vivant. Hâte-toi enfin de jeter la terre sur ma dépouille maudite. Tes pieuses intentions t'égarent, quand tu mets ta piété filiale à traîner après toi ton père sans sépulture. Il n’y pas plus de cruauté à faire mourir un homme qu'à le forcer de vivre malgré lui. C'est le tuer que de lui refuser la mort qu’il demande. La cruauté même n'est pas égale : elle est plus grande d'un côté. J'aime mieux me voir imposer la mort que de me la voir ravir.

Renonce à ton dessein, ma fille : j'ai droit de vie et de mort sur moi. Je ne possède plus mon royaume que j'ai volontairement abandonné, mais je suis encore mon maître. Si tu es ma fidèle compagne, donne-moi une épée, celle qui servit au meurtre de