Page:Sénèque - Tragédies (éd. Cabaret-Dupaty), 1863.djvu/166

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c'est pour chacun de vous. Étéocle, pourquoi refuser de remettre ton épée dans le fourreau ? Accepte plutôt avec joie un moment de trêve. Dans la guerre où vous vous lancez, il est plus heureux d'être vaincu que de vaincre. Est-ce que tu crains quelque piège de la part de ton frère ? S'il faut absolument être perfide envers les siens, ou être victime de leurs perfidies, mieux vaut encore souffrir le crime que de le commettre. Mais ne crains rien : votre mère saura vous préserver l'un et l'autre de toute atteinte mutuelle. M'écoutez-vous enfin, ou faut-il que j'envie le sort de votre père ? Suis-je venue pour empêcher un fratricide, ou pour le voir de plus près ? Étéocle a fait disparaître son épée ; il reste appuyé sur sa lance, et se repose sur ses armes plantées en terre.

C'est à toi maintenant, Polynice, que s'adressent mes supplications ; mais, avant tout, vois mes larmes. Je contemple enfin ton visage si impatiemment désiré. Banni du sol natal, tu t'es réfugié chez un prince étranger. Tu as erré de mers en mers, de malheurs en malheurs. Ta mère n'était point là pour te conduire à l'entrée de la chambre nuptiale, pour orner ton appartement de guirlandes, pour entourer de bandelettes joyeuses les torches d'hyménée. Tu n'as reçu du père de ton épouse, ni trésors, ni fertiles campagnes, ni villes opulentes. La guerre, voilà ta dot. Tu es devenu le gendre de nos ennemis. Chassé de ta patrie,