Page:Sénèque - Tragédies de Sénèque, trad Greslou, ed 1863.djvu/10

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implacables. C’est ainsi que forcément, sous le pinceau du tragique latin, se transforment ou plutôt se défigurent les héroïnes qu’il emprunte à la tragédie grecque. Nous ne reconnaissons plus ni la grâce de leur attitude, ni la douceur de leur langage, ni la noblesse régulière de leur physionomie. Leurs traits sont grossis et exagérés, leur langage prétentieux, leur maintien affecté ; ce sont des personnages, ce ne sont pas des réalités vivantes et naturelles.

Si telle est la révolution qu’ont dû subir, sur le théâtre latin, les caractères de femmes, on concevra facilement combien plus profondément encore ont dû changer les caractères d’hommes. A ce changement, il n’y a pas seulement pour cause cette différence que nous avons signalée entre le caractère de la femme grecque et de la femme romaine, différence qui, avec des nuances naturelles, se retrouve jusqu’à un certain point entre le caractère du Grec et du Romain : il y a une raison beaucoup plus profonde. Les tragédies de Sénèque. comme toutes celles qui se composaient sous l’empire, comme les tragédies de Pomponius Secundus, de Julius Maternus, n’étaient pas, ou du moins n’étaient que secondairement une œuvre d’art : c’était une protestation politique ; on y faisait, à huis clos et sous des noms étrangers, une opposition qui ne se pouvait faire ailleurs. Tel nous paraît être surtout le caractère des tragédies de Sénèque. Empruntées à des auteurs et à des sujets grecs, il en a fait, en réalité, de véritables tragédies romaines, une peinture fidèle et expressive des mœurs et des sentiments de son