Page:Sénèque - Tragédies de Sénèque, trad Greslou, ed 1863.djvu/414

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par le dixième flot. Un autre, dont la membrure est fracassée, flotte dépouillé de tous ses agrès. Un autre, sans voiles, sans rames, sans mâts pour soutenir ses antennes, n'a plus que sa carène qui surnage dans toute l'étendue de la mer Ionienne. La raison ni l'expérience ne peuvent nous fournir aucun secours : l'art du pilote est vaincu par l'excès des maux. La terreur nous enchaîne, et les matelots, plongés dans un morne abattement, laissent échapper les rames. L'effroi, parvenu à son comble, tourne enfin nos pensées vers le ciel : Grecs et Troyens font les mêmes vœux.

O vicissitudes humaines! Pyrrhus envie le sort de son père, Ulysse celui d'Ajax, Ménélas celui d'Hector,Agamemnon celui de Priam. Nous appelons heureux ceux qui ont succombé sous les murs de Troie. Ils sont morts en combattant; la renommée conserve leur mémoire, et la terre conquise par leurs bras leur sert de tombeau. Faut-il mourir sans gloire au milieu des flots? cet obscur trépas est-il réservé à de braves guerriers? Perdre ainsi jusqu'au fruit de sa mort! Qui que tu sois, dieu cruel, dont la colère n'est pas encore désarmée par de si grands malheurs, apaise-toi enfin. Troie elle-même donnerait des larmes à nos désastres. Si ta haine est implacable, si tu as résolu d'anéantir l'armée des Grecs, pourquoi faire périr avec nous ceux pour qui nous périssons?