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NOTES D’UNE FRONDEUSE

avant que de lui jeter une trop lourde pierre, faut-il se souvenir que depuis longtemps la discorde régnait dans son ménage, que la principale intéressée avait renoncé à occuper sa place et maintenir son droit.

Celle-là avait ses raisons, plus que légitimes, certes ; mais il n’y avait eu jusqu’alors que des frasques, et, cette fois, c’était l’amour — maître des dieux !

Cette liaison fut si sérieuse, si discrète, que nul, sauf les très intimes, ne la pénétra. Même, il y eut des paravents, des affichages, destinés à protéger contre la curiosité des méchants ou des sots celle dont le général voulait faire sa femme.

Elle, perdue en son rêve, attendait, souffrant de sa chute ; espérant de toute son âme la réhabilitation ; sentant, de loin, s’accumuler les rancunes des dépités qui, ne pouvant arriver à la connaître, commençaient à la combattre, accusaient formellement « l’influence féminine » de contrecarrer leurs projets.

Pauvre influence féminine ! Elle ne savait que la politique de la caresse, la diplomatie du baiser ; tout effarée de se sentir heureuse — elle qu’en avait si peu l’habitude ! — et inquiète déjà de l’expiation dont il lui faudrait payer ce bonheur !

Il était son tout, son idole ! Je m’en suis bien rendu compte, allez, dans sa chambre de morte ; en voyant toutes les photographies de Boulanger, toutes, vous entendez bien, alignées sur les meubles. Et pas avec le désordre échevelé de l’amoureuse éprise du mâle ; qui trompe l’absence en usant de ses lèvres l’image de l’absent ! Non — gentiment rangées comme en une petite chapelle !

Je suis sûre qu’avant de s’endormir, elle disait :

« Mon bon Dieu, priez Georges pour moi, afin qu’il m’aime toujours ! »