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NOTES D’UNE FRONDEUSE

Comment aurait-elle fait de la politique, celle-là !

Quand il la vint chercher pour la fuite — poussé à cela par quelqu’un qui n’a de féminin que la frayeur des foules — elle le suivit docilement, tendrement, comme elle l’aurait suivi au bout du monde, s’il lui avait plu d’y aller.

On s’aime partout, n’est-ce pas ?

Elle ne réfléchit même point qu’elle allait sortir de son ombre, être connue, s’offrir en curée aux pourceaux de la politique ; que sa beauté allait être dévoilée, son argent pesé, son honneur discuté… qu’elle serait la victime expiatoire de tous les péchés d’Israël !

Elle partit pour Bruxelles, comme elle s’en fut à Jersey ; comme elle retourna à Bruxelles ; comme elle serait revenue à Paris si, lui, l’eût désiré. Où il était, elle était bien.

Et quant à ses desseins, ses vues, ses ambitions, elle était trop humble de cœur, se jugeait trop petite fille, auprès du maître qu’elle s’était donnée, pour oser, pour vouloir jamais risquer un avis — bien trop joyeuse de recevoir des ordres ! Et elle n’avait de volonté, de décision, de courage, que pour la tactique de la tendresse, la stratégie de la séduction !

Une robe qui le charmât, une coiffure qui lui plût, un parfum qui l’attirât, un plant de roses contre la maison, pour égayer les brumes de l’exil — cela, oui ! Mais discuter qui avait raison d’Y… ou de Z…, mettre en doute l’inébranlable fidélité de X… ou appuyer les justes revendications de W… — cela, non !

Ne pas la juger sotte ou futile, pourtant ! Elle était, au contraire, intelligente, instruite, de jugement sûr. Mais elle avait peut-être le secret pressentiment de celles qui