Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
95
SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


cieusement consigné, dans son Histoire amoureuse, le souvenir d’une de ces soirées de gloire, où elle lui dit, en revenant à sa place : « Il faut avouer que le roi a de grandes qualités ; je crois qu’il obscurcira la gloire de tous ses prédécesseurs. » Mais la distinction accordée à mademoiselle de Sévigné eut quelque chose de plus éclatant encore. C’était le temps de ces fêtes galantes que Louis XIV aimait tant, et dont le poëte ingénieux était Benserade. Dans la première entrée du ballet des Arts, où dansait le roi, mademoiselle de Sévigné figura avec cette gracieuse Madame, si chère à son beau-frère, avec mademoiselle de Mortemart, qui allait devenir madame de Montespan, avec mademoiselle de Saint-Simon, dont les beaux yeux étaient incomparables, jeune fille « parfaitement belle et sage, » dit le duc de Saint-Simon son frère, et qui, cette année même, épousa le duc de Brissac ; enfin avec mademoiselle de la Vallière. On voit que sa place était entre les plus belles et les plus en faveur. Dans cette première entrée, le roi paraissait en berger, les dames en bergères. À cette occasion, le poëte galant avait écrit ces vers pour mademoiselle de Sévigné :


Déjà cette beauté fait craindre sa puissance,
Et pour nous mettre en butte à d’extrêmes dangers,
Elle entre justement dans l’âge où l’on commence
A distinguer les loups d’avecque les bergers[1].


Dans la septième entrée de ce même ballet, Madame représentait Pallas, mesdemoiselles de Mortemart, de Saint-Simon, de Sévigné étaient des Amazones. Il y avait encore un quatrain pour mademoiselle de Sévigné[2]. La Muse de Benserade n’y avait pas été moins galante que dans le premier, mais beaucoup plus libre. Mademoiselle de Sévigné eût pu rougir cette fois, eût-elle même été moins sujette à cette incommodité.

Dix-sept ans s’étaient écoulés depuis cette fête, lorsqu’à propos d’un nouveau ballet qu’on allait donner à la cour, madame de Sévigné, riant elle-même de cette radoterie maternelle, rappelait avec orgueil à sa fille ce ballet des Arts et « le

  1. Œuvres de Benserade, Paris, chez Charles de Sercy, 1698, tome II, p. 253.
  2. Ibid. p. 266.