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NOTICE BIOGRAPHIQUE


vait-elle dire de plus fort ? Sur la nouvelle de son départ, elle était en hâte revenue de Livry, et pendant toutes les dernières soirées où elle pouvait le voir encore, elle passait plusieurs heures avec lui. Le dessein qu’il avait formé de renoncer au monde trouvait bien des incrédules ; on se moquait de cette fausse retraite. Madame de Sévigné le défendit toujours, avec une extrême vivacité, contre les jaloux qui voulaient ternir la beauté de son action. Son retour, trois ans après, à Saint-Denis et à Paris, où on le vit reparaître à l’hôtel de Lesdiguières, au milieu, disait-on, de nombreuses et brillantes réunions, donna beau jeu aux critiques ; cependant madame de Sévigné continua à répondre de la sincérité et de la constance de ses résolutions. Et, en définitive, il semble bien que l’amitié, cette fois, fut moins aveugle que l’envie ou la malignité.

C’est dans une lettre à Bussy[1], écrite un an seulement avant la mort de Retz, que madame de Sévigné le justifie avec chaleur. Il est visible qu’elle lui est alors aussi attachée que jamais. Rien n’est donc plus étrange que cette assertion d’un illustre écrivain, dans un livre à la vérité peu digne de sa plume, que l’admiration de madame de Sévigné pour le cardinal baisse, à mesure que celui-ci approche de sa fin[2]. Le motif auquel est attribué cet affaiblissement d’affection n’a pas plus de fondement. Le cardinal aurait perdu dans l’esprit de madame de Sévigné, parce qu’elle ne comptait plus autant sur son

  1. Lettre du 27 juin 1678.
  2. Chateaubriand, Vie de Rancé, p. 125. Madame de Sévigné n’y est pas bien traitée : « Madame de Sévigné, dont on a publié peut-être trop de lettres (M. de Chateaubriand aurait-il eu le courage d’en désigner une à retrancher ?)... Légère d’esprit, inimitable de talent, positive de conduite, calculée dans ses affaires, elle ne perdait de vue aucun intérêt. » Bussy dans son chien de portrait, n’a pas été plus médisant, ni plus injuste. Dans cette même Vie de Rancé, le fiel de Saint-Simon et l’âcreté de son humeur (P. 171) sont dénoncés sévèrement. Il n’a rien mis du moins de cette amertume dans ces quelques lignes sur madame de Sévigné, plus vraies assurément que celles de M. de Chateaubriand : « Madame de Sévigné, si aimable et de si excellente compagnie... par son aisance, ses grâces naturelles, la douceur de son esprit, en donnoit par sa conversation à qui n’en avoit pas, extrêmement bonne d’ailleurs, et savoit extrêmement de toutes choses, sans vouloir jamais paroître savoir rien. » (Mémoires, tome I, p. 321.)