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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


de Renaud de Sévigné, madame de Sévigné était devenue l’amie du vieux solitaire d’Andilly et de son fils Pomponne, et plus étroitement encore de ce dernier depuis le procès de Fouquet. Tout cela, encore une fois, put contribuer beaucoup à lui faire goûter les livres et les sentiments religieux de ces Messieurs. Il est bien rare que, dans leurs opinions, les femmes soient conduites par l’esprit seul et que le cœur n’y soit pour rien. Cependant l’éloquence des écrits qui sortaient de Port-Royal, ne put manquer d’exercer, en même temps, sur madame de Sévigné une grande séduction. On sait quelle était son admiration pour les petites lettres, comme elle en jugeait bien « la solidité, la force, l’éloquence, le style parfait, la raillerie fine, naturelle, délicate ; digne fille des dialogues de Platon[1], » et comme elle aurait voulu que sa fille les relût à loisir, pour ne plus trouver que m c’était toujours la même chose. » Madame de Sévigné les recevait aussitôt qu’elles voyaient le jour, et exprimait déjà en 1656 à Ménage, qui lui avait envoyé la onzième Provinciale, le plaisir que lui faisait cette lecture. Nicole la charmait également : elle le trouvait « de la même étoffe que Pascal. » Ses Essais de morale étaient un des livres qu’elle lisait le plus ; elle eût voulu d’un de ces traités « faire un bouillon et l’avaler. » Enfin il lui « semblait que personne n’écrivait comme ces Messieurs. »

Au milieu de ces sympathies pour les personnes et de ces admirations littéraires, qu’avait-elle pris des doctrines que les ennemis appelaient jansénistes ? Il est peut-être bien rigoureux de lui faire subir cet examen ; et nous n’avons ni la science ni l’indiscrétion d’un inquisiteur. Mais, sans avoir l’intention d’extraire de ses lettres des propositions à dénoncer à l’Index, touchons avec réserve à un point qui excite la curiosité.

Saint-Simon rapporte un mot charmant de madame de Sévigné. Au plus fort des disputes sur la grâce, elle disait : « Épaississez-moi un peu la religion, qui s’évapore toute à force

  1. Lettre à madame de Grignan, 21 décembre 1689.