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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


sante, qui n’était certainement pas sans une nuance d’ironie contre ceux qui mettaient à de si rudes épreuves la générosité d’une pauvre province, et lui extorquaient de si excessives largesses, après boire : « Il n’y a qu’à demander ce que veut le roi : on ne dit pas un mot ; voilà qui est fait[1]... Notre présent est déjà fait, il y a plus de huit jours ; on a demandé trois millions ; nous avons offert, sans chicaner, deux millions cinq cent mille livres. Du reste, M. le gouverneur aura cinquante mille écus, M. de Lavardin quatre-vingt mille francs, le reste des affaires à proportion, le tout pour deux ans[2]. » Le roi, voulant récompenser la bonne grâce avec laquelle on lui avait obéi et ne pas être vaincu en générosité par la province, poussa la munificence jusqu’à donner cent mille écus à sa fidèle Bretagne, c’est-à-dire qu’il se contenta de « deux millions deux cent mille livres, au lieu de cinq cents. » Quand la lettre qui apportait cette gracieuse nouvelle fut lue aux états, « il s’éleva jusqu’au ciel un cri de Vive le roi, et tout de suite on se mit à boire, mais boire, Dieu sait[3] ! » Voilà une province ! s’écriait madame de Sévigné. « Un beau matin nos états donnèrent des gratifications pour cent mille écus ; un Bas-Breton me dit qu’il avoit pensé que les états alloient mourir, de les voir ainsi faire leur testament, et donner leur bien à tout le monde : plût à Dieu qu’à proportion on fût aussi libéral dans votre Provence[4] ! » Au milieu de ces magnificences, madame de Chaulnes (grand exemple pour madame de Grignan) ne fut pas oubliée. On lui donna deux mille louis d’or et beaucoup d’autres présents. « Ce n’est pas, disait madame de Sévigné, que nous soyons riches, mais c’est que nous avons du courage, c’est que nous sommes honnêtes, et qu’entre midi et une heure nous ne savons pas refuser nos amis ; c’est l’heure du berger : les vapeurs de vos fleurs d’orange ne font pas de si bons effets[5]. » Nous ne savons si nous nous trompons ; mais il nous semble que, malgré les liaisons de madame de Sévigné avec les gouverneurs, malgré surtout cette pensée, toujours présente, de la Provence, qui devait la disposer à trouver fort bonne la docilité

  1. Lettre du 5 août 1671.
  2. Lettre du 12 août 1671.
  3. Lettre du 19 août 1671.
  4. Lettre du 13 septembre 1671.
  5. Lettre du 30 août 1671.