Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/216

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
186
NOTICE BIOGRAPHIQUE


des états, il y a bien de la satire dans cette peinture, tant de fois recommencée par elle, de la trop bonne Bretagne qu’on dévalise si honnêtement après l’avoir enivrée. La satire sans doute est dans les choses mêmes ; mais madame de Sévigné n’était pas assez simple pour l’y faire, sans le vouloir, si bien ressortir. Une plus vive et plus vigoureuse indignation, il ne la faut attendre ni de son caractère, ni du monde et du temps au milieu duquel elle vivait ; cependant les iniquités des puissants lui déplaisaient, et lui inspiraient, sinon une généreuse colère, du moins des épigrammes et de frondeuses malices, qui suffisent pour l’absoudre de toute fâcheuse approbation et de toute complicité.

L’humeur accommodante de la Bretagne parut n’avoir fait qu’encourager les entreprises contre sa bourse et contre ses libertés. Les privilèges de la province garantis par les traités, depuis les deux mariages de la duchesse Anne, étaient violés par des édits royaux. Dans les états tenus en 1673, deux députés firent des objections aux demandes de subsides, la perception de certains impôts, ordonnée par les édits, étant contraire aux droits des Bretons. Le duc de Chaulnes eut l’ordre de faire arrêter ces deux députés. On retira cependant les édits qui avaient causé ce mécontentement ; mais on vendit chèrement à la Bretagne la justice qu’on lui rendait. Madame de Sévigné, bien qu’elle raille au lieu de déclamer, n’atténue pas ces monstrueuses exactions : « On a révoqué tous les édits qui nous étrangloient dans notre province. Le jour que M. de Chaulnes l’annonça, ce fut un cri de Vive le roi qui fit pleurer tous les états ; chacun s’embrassoit, on étoit hors de soi : on ordonna un Te Deum, des feux de joie et des remercîments publics à M. de Chaulnes. Mais savez-vous ce que nous donnons au roi pour témoigner notre reconnaissance ? Deux millions six cent mille livres, et autant de don gratuit ; c’est justement cinq millions deux cent mille livres : que dites-vous de cette petite somme ? Vous pouvez juger par là de la grâce qu’on nous a faite de nous ôter les édits[1]. »

L’année 1675 fut bien plus malheureuse encore pour la Bretagne, et bien plus violemment agitée. L’impôt du timbre

  1. Lettre du 1{er janvier 1674.|90}}