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NOTICE BIOGRAPHIQUE


hommes, comme on envoie un équipage chez soi quand on n’en a que faire[1]. » Que madame de Sévigné, qui avait à payer comme les autres, n’ait pas oublié dans tout cela son propre intérêt, nous le voulons bien ; mais elle pouvait, avec des amis tels que les siens, se promettre bien des exemptions, surtout si elle consentait à moins fronder. D’ailleurs il ne faut pas ôter aux victimes de l’injustice puissante le mérite qu’il y a toujours à protester contre elle avec liberté et courage et à ne se point laisser écorcher sans crier. La hardiesse frondeuse de madame de Sévigné ne se cachait pas dans l’ombre de ses lettres, qu’au surplus l’œil indiscret des ministres savait très-bien percer ; elle la répandait sans crainte dans la haute société qu’elle voyait en Bretagne. Quand elle disait que madame de Chaulnes n’ignorait pas qu’elle trafiquait en plusieurs endroits, rien n’était plus vrai. Entre autres liaisons avec des mécontents, madame de Sévigné en avait formé une avec la marquise de Marbeuf, veuve d’un président au parlement de Rennes, femme « d’un cœur noble et sincère, » nous dit-elle, que les désordres de la province indignaient, qui les blâmait sans contrainte, et voulait quitter la Bretagne, pour n’y plus jamais revenir.

Il y avait particulièrement une voisine de madame de Sévigné (elle l’appelle quelquefois de ce nom familier), avec qui elle échangeait librement les plaintes et les critiques sur la dureté du gouvernement, l’énormité des contributions et les désordres des gens de guerre. C’était la bonne Tarente. Émilie, fille du landgrave Guillaume V de Hesse et d’Amélie-Élisabeth de Hanau, était veuve alors du duc de la Trémouille, prince de Tarente, qu’elle avait perdu en 1672. Baron de Vitré, et portant le titre de premier baron de Bretagne, le prince de Tarente avait présidé les états de cette province en 1661 et en 1669. La princesse, sa veuve, avait donc en Bretagne un des rangs les plus élevés. Elle était, de toutes façons, une fort grande dame. Alliée à toutes les maisons royales, « il faudroit, disait madame de Sévigné, que toute l’Europe se portât fort bien, pour qu’elle ne fût pas sujette à perdre ses parents. » Elle était tante de la seconde Madame, la Palatine ;

  1. Lettre, du 8 décembre 1675.