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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


et 1685, y vit encore familièrement la princesse de Tarente, toujours aussi bonne et aussi aimable pour elle. Dans les dernières années de sa vie la bonne Tarente s’était retirée à Francfort, où elle mourut en février 1693. Outre la fille dont nous avons parlé, elle avait deux fils[1], dont l’aîné présida plusieurs fois la noblesse aux états de Bretagne, de 1677 à 1701. Madame de Sévigné l’a bien sévèrement appelé, dans une lettre de 1675, « un benêt de fils, qui n’a point d’âme dans le corps. » Il est vrai que n’ayant alors que vingt ans, il n’avait pu sans doute encore montrer les bonnes qualités qui rachetèrent plus tard ce qui manquait peut-être à son intelligence. Saint-Simon, fort lié avec lui, reconnaît qu’il était « sans esprit que l’usage du monde ; » mais il ajoute qu’il avait « tant d’honneur, de droiture, de politesse et de dignité, que cela lui tint lieu d’esprit, lui fit garder une conduite toujours honnête et digne, et lui acquit partout de la considération[2]. »

La rude qualification de benêt avait un peu échappé à un mouvement d’impatience provoquée par la princesse de Tarente, qui s’était montrée surprise de la familiarité établie entre madame de Sévigné et son fils, « sans nul air de maternité [3]. » Cet étonnement s’explique bien chez une personne habituée aux mœurs des nobles familles allemandes ; mais il ressemblait presque à un blâme ; et madame de Sévigné s’en vengeait en n’admettant aucune comparaison entre ce jeune duc de la Trémouille, à l’esprit lent, pesant et gêné, et son aimable étourdi, si gai, si vif, si ouvert et si gentiment libre avec elle. À ce moment, elle jouissait aux Rochers de l’agréable compagnie de son fils. Elle ne s’y était pas retrouvée avec lui depuis cette année 1671, où il était venu oublier quelque temps près d’elle les dangereux entretiens de Ninon et les soupers de la Champmeslé. La vie de Charles de Sévigné avait été depuis lors très-assujettie à ses devoirs militaires, qu’il avait bien remplis, sans y avoir beaucoup de goût. Lorsque, au mois de

  1. M. Walckenaer dit (Ve partie des Mémoires, p. 359) que le prince de Tarente était l’unique héritier des la Trémouille. Il a oublié le prince de Talmont, second fils de la princesse de Tarente. (Voir les Mémoires de Saint-Simon, tome VI, p. 139 et 141.)
  2. Mémoires, tome VII, p. 208.
  3. Lettre à madame de Grignan, 29 décembre 1675.