rait pas raisonnable d’en tirer de fâcheux augures sur son courage
dans l’avenir ; elle lui recommandait surtout, si elle voulait
triompher de cette timidité, de ne point l’effaroucher, de ne
point le rabaisser, mais « de le mener doucement, comme un
cheval qui a la bouche délicate[1]. » Nous retrouverons un peu
plus tard ce jeune Grignan beaucoup moins timide, et se tirant
d’affaire aussi bien qu’un autre à la guerre. Nous verrons, dans
ce temps-là, madame de Sévigné veiller toujours sur lui avec la
même sollicitude. Madame de Grignan aussi paraît avoir été
alors très-occupée de ce fils, très-tendrement inquiète des périls qu’il courait dans ses campagnes. Ce n’était peut-être pas un
sentiment maternel sans quelque mélange de cette ambition et de
cette gloire qui tinrent toujours tant de place dans le cœur de
madame de Grignan. Ce jeune marquis était son dauphin,
comme le disait madame de Sévigné. On lui avait donné, comme
un prince, le nom d’une province. Son père, le lendemain de
sa naissance, était venu l’offrir à l’assemblée des communautés
qui avait décidé que les procureurs généraux du pays tiendraient, au nom de la Provence, l’enfant sur les fonts de baptême. La Provence fut donc sa marraine, et lui donna son
nom. C’était traiter M. et madame de Grignan en roi et en
reine. Un enfant qui était pour sa maison l’occasion de tels honneurs, devait être singulièrement cher à sa mère. Aussi, deux
mois après sa naissance, madame de Sévigné écrivait-elle à sa
fille : « Vous me paraissez folle de votre fils[2]. » Mais il semble
que quelques-uns des petits défauts de l’enfance et des inévitables ennuis qu’ils donnent, suffirent, au bout de peu de temps,
pour modérer beaucoup cette folie. Le petit héritier des Grignan
n’avait que trois ans, lorsque madame de Sévigné constatait
ainsi un certain refroidissement pour lui : « Je ne vous trouve
plus si entêtée de votre fils ; je crois que c’est votre faute ; car
il avait trop d’esprit pour n’être pas toujours fort joli ; vous ne comprenez point encore trop bien l’amour maternel ; tant mieux,
ma fille, il est violent[3]. »
- ↑ Lettres du 2 et du 3 juillet 1677.
- ↑ Lettre du 20 janvier 1672.
- ↑ Lettre du 3 novembre 1675 — Madame de Sévigné, dans une lettre du 5 février 1690, parle de confier à M. du Plessis, qui avait été gouverneur du marquis de Grignan, et le fut plus tard du jeune marquis de Vins, l’éducation d’un second fils de sa fille. Cet enfant, dont il n’est pas question ailleurs, et que sa mère dut perdre fort jeune, naquit vraisemblablement pendant ces années que l’interruption de la correspondance entre madame de Sévigné et madame de Grignan nous empêche de bien connaître, peut-être entre 1685 et 1687. Madame de Sévigné ne compte pas un autre fils, dont madame de Grignan était accouchée à huit mois, en février 1676, et qui vécut un peu plus d’un an seulement, jusque vers la fin de juin 1677.