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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


écrivait madame de Sévigné, qui me fait sentir ce que fait mademoiselle d’Alerac ; j’en ai compris l’horreur[1]. » Tout le monde n’en jugea pas ainsi. On parlait tout différemment chez M. de Montausier de la résolution prise par mademoiselle d’Alerac, et sans doute ce qui s’y disait rencontrait généralement plus de créance, étant beaucoup mieux d’accord avec les faits apparents.

L’irritation fut grande en ce moment entre les deux maisons. M. de Montausier fit faire une saisie sur les biens de M. de Grignan, débiteur de mademoiselle d’Alerac. M. de Grignan avait demandé un arbitre ; on le lui refusa par un mémoire, qui parut aux Grignan d’une insupportable hauteur et dans le style de princes du sang parlant à un marchand de la rue Saint-Denis[2]. Le chevalier de Grignan alla trouver M. de Montausier et lui parla avec une énergie très-voisine de la provocation. Il se plaignit de « la ridicule conduite de mademoiselle d’Alerac, qui avait quitté son père sous prétexte qu’elle était maltraitée ou chassée. » Il affirma que « bien des témoins savaient le contraire et qu’il fallait qu’elle eût le plus mauvais cœur et fût la plus ingrate créature du monde pour oublier les obligations qu’elle avait à madame de Grignan[3]. » La conversation s’échauffa plus vivement encore, lorsque le duc de Montausier la fit tomber sur le chapitre de la donation de mademoiselle de Grignan. « C’était, disait-il, le bien de la mère de mademoiselle d’Alerac et l’on avait coupé la gorge à celle-ci. » Il demanda au chevalier s’il était vrai qu’il se vantât d’avoir fait faire cette donation. Les réponses du chevalier, telles que madame de Grignan les rapporte, furent plus fières et plus emportées que nettes et concluantes.

Au mois de mars 1689, madame de Sévigné informait sa fille que mademoiselle d’Alerac s’était retirée pour quelques jours aux Feuillantines ; qu’il y avait souvent de la froideur entre elle et madame d’Uzès, sa cousine, et que « la pauvre fille n’était pas heureuse. » On sut bientôt pourquoi elle était sortie de la maison de son oncle. Elle voulait épouser le marquis de

  1. Lettre du 27 septembre 1687.
  2. Lettre de madame de Grignan à M. de Grignan, 5 janvier 1688.
  3. Ibid.