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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


en très-peu de jours, une jambe charmante, une jambe à la Sévigné[1].

On pourrait croire que ce fut cette maladie si longue qui retint madame de Sévigné une année entière loin de sa fille ; il y avait d’autres causes. À la fin de l’année 1681, après plus de trois mois passés en Bretagne, elle annonçait qu’elle y resterait longtemps encore, « qu’un séjour trop court lui serait inutile, et qu’il fallait avaler toute la médecine. » Le petit Coulanges imputait à l’abbé, dont il maudissait tous les calculs, la nécessité qu’elle se faisait d’un exil si prolongé[2]. Les conseils venaient peut-être de ce bon calculateur ; mais ils avaient toute l’approbation de madame de Sévigné. Son long séjour aux Rochers lui semblait, suivant son expression, un sommeil nécessaire ; c’était sa dépense qui dormait. Son fils lui devait de l’argent, qu’il n’était pas en état de payer ; il se trouvait trop heureux de s’acquitter d’une partie de sa dette, en fournissant à toutes les dépenses de sa mère pendant qu’il l’avait chez lui ; pour elle, n’ayant ainsi besoin d’aucun argent, elle réservait tout son revenu, qu’elle envoyait à Paris pour le payement de ses créanciers[3]. Faire ces vulgaires économies aux dépens des satisfactions de sa tendresse peut paraître bien terre à terre. Cependant les épargnés, commandées par la prévoyance maternelle et par la probité, ne manquent pas de noblesse. Plus était cruel le sacrifice qu’elles imposaient à madame de Sévigné, plus elle mérite d’en être louée. Comment l’accuser d’avarice, comment n’être pas au contraire touché, lorsqu’au moment d’aller retrouver madame de Grignan, elle lui écrit : « Je ne serai point honteuse de mon équipage ; mes enfants en ont de fort beaux, j’en ai eu comme eux ; les temps changent, je n’ai plus que deux chevaux[4] ? » Si quelqu’un avait pu blâmer les calculs de madame de Sévigné, ce n’eût pas été sa fille. Il eût suffi peut-être qu’elle consentît à en faire un peu plus elle-même, pour qu’une si pénible sagesse ne fût

  1. Lettre de madame de Sévigné à madame de Grignan, 22 juillet 1685.
  2. Lettre du 26 avril 1685.
  3. Lettres du 13 et du 27 décembre 1684.
  4. Lettre du 15 août 1685.