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SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


de Sévigné n’avait été plus vive et plus empressée qu’en cette année ; jamais ils ne l’avaient témoignée par plus de soins et de prévenances. Touchée de tant de marques d’affection, madame de Sévigné rendait amitié pour amitié à ces bons gouverneurs. C’était ainsi qu’alors elle les appelait. Elle avait un peu oublié les rigueurs dont le duc de Chaulnes avait été le ministre contre les Bretons, et qui l’avaient mise autrefois, quoique avec quelques ménagements sans doute, dans le parti des mécontents. Elle écrivait déjà pendant son précédent voyage en Bretagne : « En vérité, j’aime ces bons gouverneurs, je ne comprends point comment on les peut haïr... Je serois ingrate si je ne les aimois ; tous les ingrats qu’ils ont faits en ce pays me font horreur[1]. » Il est d’ailleurs à croire que le gouverneur de Bretagne finit par se faire généralement pardonner le triste rôle qu’il avait joué, non sans répugnance, dans les malheurs de la province, et que l’on savait bien n’avoir été que celui d’un trop docile instrument. Saint-Simon n’a pas inventé sans doute tout ce qu’il raconte des regrets et des larmes de la Bretagne lorsqu’en 1695 le roi ôta au duc de Chaulnes son gouvernement pour le donner au comte de Toulouse, et a les marques les plus continuelles de vénération et d’attachement, que cette province, dit-il, où il étoit adoré, lui donna jusqu’au bout, et corps et particuliers[2]. » Au surplus, quoi qu’il en soit de la vie publique du duc de Chaulnes, il avait, lui et la duchesse, de telles bontés pour madame de Sévigne, ils lui donnaient, en toute occasion, de telles marques d’estime et de distinction, qu’il fallait bien qu’elle en fût reconnaissante. Ils auraient toujours voulu l’avoir avec eux. Pour elle, rien en Bretagne ne lui plaisait autant que la tranquillité des Rochers. Pour leur être agréable, cependant, elle accepta l’invitation qu’ils lui firent de venir passer près d’eux quelques jours à Rennes, dans le temps où Sévigné y faisait escadronner sa noblesse ; puis elle se laissa entraîner par eux dans un voyage qu’ils firent à Vannes et à Auray. Elle n’avait pas dû refuser à leur amitié cette complaisance : un moment d’hésitation leur avait fait une peine qu’ils n’avaient pu cacher. Les fâcher n’eût

  1. Lettre du 13 juin 1685.
  2. Mémoires, tome I, p. 245, et tome II, p. 181.