Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
8
NOTICE BIOGRAPHIQUE


seul juge ! Si nous osions penser que madame de Chantal se trompa, nous ne croirions pas du moins à la dureté dont l’a fait accuser quelquefois cette cruelle immolation, ce sacrifice d’Abraham accompli par une mère. Elle était de ceux à qui la vocation commande plus impérieusement que le cri de la nature et des entrailles. En abandonnant ses enfants pour chercher Dieu, nul doute qu’elle ne crut fermement les laisser à sa garde, et pouvoir elle-même les protéger encore par des prières qui vaudraient mieux pour eux que ses soins. Sa vie entière, les lettres qui nous restent d’elle, témoignent incontestablement, qu’au milieu des austérités de sa profession, il n’y eut pas de cœur plus éloigné de la sécheresse et de l’insensibilité.

L’éducation du fils que madame de Chantal avait ainsi abandonné à la garde de Dieu, s’acheva chez le président Frémyot, son grand-père. « Il devint, dit Bussy, un des cavaliers les plus accomplis de France, soit pour le corps, soit pour l’esprit, soit pour le courage. Il dansait avec une grâce non pareille. Il faisait très bien des armes… Il était extrêmement enjoué. Il y avait un tour à tout ce qu’il disait qui réjouissait les gens ; mais ce n’était pas seulement par là qu’il plaisait : c’était encore par l’air et par la grâce dont il disait les choses : tout jouait en lui[1]. » Ne s’arrête-t-on pas avec plaisir sur ce portrait du père de madame de Sévigné ? Ne semble-t-il pas qu’on remonte à la source de quelques-uns des dons naturels qui se développèrent si merveilleusement chez elle ?

Le jeune Chantal (c’était le nom qu’on lui donnait habituellement, comme on l’avait donné à son aïeul et à son père) avait sans doute hérité de la douceur de Christophe. Car il ne fut pas moins prompt que lui à dégainer. Bussy n’a cité qu’un petit nombre de ses duels, mais seulement à titre d’échantillons. Il en est un dont le souvenir nous a été conservé par sainte Chantal dans une de ses lettres à la mère Marie-Aimée de Blonay[2], et qui ne peut pas être celui de Pont-Gibaud, dont nous aurons bientôt à parler, mais doit avoir eu lieu en 1622 ; car

  1. Histoire généalogique.
  2. Cette amie de sainte Chantal, qui en 1644 publia quelques-unes de ses lettres.