Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 1.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
39
SUR MADAME DE SÉVIGNÉ.


jeune abbé de Montreuil, qui faisait en son honneur de galants madrigaux, et le chansonnier Marigny, qui la célébrait aussi dans ses vers, et était depuis longtemps dans la familiarité de son mari. L’hôtel de Rambouillet était encore dans tout son éclat, quoique le temps de son déclin fût très proche.

Pour avoir fréquenté cet hôtel, et en général les plus célèbres réduits, madame de Sévigné avait droit à la place que Somaize lui a donnée dans son Dictionnaire des Précieuses. La préciosité, qui dégénéra quelques années plus tard en ridicule affectation, et qui des ce temps n’était point pure de tout abus, se pouvait cependant alors définir surtout la délicatesse du goût et des sentiments, l’urbanité des manières et du langage, l’opposé de la grossièreté d’esprit et de la grossièreté de mœurs. Madame de Sévigné, longtemps même après la comédie de Molière, qui, du reste, se défendait d’avoir attaqué les vraies précieuses, revendiquait pour elle-même, en badinant, un nom dont les plus charmantes femmes s’étaient autrefois honorées. Elle ne voulait pas que l’on crût qu’au milieu de ses Bretons elle eut tout à fait oublié son monde : « J’ai encore, écrivait-elle, un petit reste de bel air qui me rend précieuse[1]. » Elle l’était en effet par ses principes d’honneur et de vertu, comme par l’exquise culture de son esprit. Il est certain toutefois que, dans l’âge d’or même de la préciosité, il y avait déjà quelque raffinement d’élégance, une certaine quintessence de délicatesse, une recherche du distingué et de l’ingénieux qui ouvrait de temps en temps la porte à l’esprit maniéré. Lorsque dans l’hôtel de Rambouillet et dans ses précieuses on regarde surtout ces mauvais côtés, on est un peu étonné d’entendre nommer une telle société à propos de madame de Sévigné, dont l’un des premiers mérites est la franchise et la simplicité du style, le vrai bon goût et le vrai bon ton, qui se servent du mot propre sans façon ni pruderie. Et, malgré tout, on croit surprendre çà et là chez elle quelques traces de ce qui n’était pas tout à fait le meilleur à l’hôtel de Rambouillet. On hésite cependant : ainsi, lorsque se plaignant à sa fille qu’elle ne lui parle pas assez d’elle, elle lui dit qu’elle en est nécessiteuse, lorsqu’elle a mal à sa poitrine, lorsqu’elle souhaiterait de pouvoir écumer son

  1. Lettre à madame de Grignan, du 21 octobre 1671.