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NOTICE BIOGRAPHIQUE


gaie malice venait leur apprendre, comme à Bussy, qu’ils avaient perdu leur temps. Un d’eux lui avait écrit un billet qu’il la suppliait de ne laisser voir à personne. Elle le garda quelques jours, puis elle le montra en disant : « Si je l’eusse couvé plus longtemps, il fût devenu poulet[1]. »

Au risque de nous attirer le mot qu’une dame expérimentée disait à un champion de la vertu de madame de Maintenon : « Vous êtes bien heureux d’être sûr de ces choses-là, » nous ne pouvons mettre en doute que le marquis de Sévigné n’ait échappé au sort qu’il méritait. Un jour, ayant entendu dire que madame de Simiane (celle dont Pauline de Grignan devait épouser le fils) se séparait de son mari, sous prétexte de ses galanteries, madame de Sévigné écrivait à sa fille : « Quelle folie ! je lui aurais conseillé de faire quitte à quitte avec lui[2]. » Mais elle a été, ce qui lui arrivait souvent, moins légère et plus sage que ses paroles. Une vertu est bien certifiée quand Bussy, la rancune dans le cœur, est forcé de la reconnaître, et quand Tallemant, d’ordinaire peu crédule en ces matières, lui rend cet hommage : « Madame de Sévigné était une des plus honnêtes personnes de Paris[3]. » Tallemant, dira-t-on, par une honnête personne, n’entend, suivant la langue du temps, qu’une personne distinguée, polie, ornée de tous les agréments du monde, le pendant, en un mot, parmi les femmes, de ce qu’est, dans l’autre sexe, le parfait gentilhomme, le cavalier accompli. Il se peut ; mais, en tout cas, il n’y aurait doute que sur la force d’un mot de Tallemant, non sur le témoignage qui ressort définitivement de son Historiette de Sévigny. Il n’y impute pas à madame de Sévigné une seule galanterie : chez lui, c’est la louange poussée jusqu’à l’hyperbole.

Nous avons raconté la perfide indiscrétion de Bussy et l’abus qu’il fit des confidences de Sévigné. Cette trahison fut devinée par le marquis, à qui sa femme n’avait pas tout à fait dissimulé les lumières qu’elle avait sur sa conduite. Il en adressa des reproches à Bussy ; celui-ci nia, et se fit à peu près croire. Mais il ne se tint pas pour satisfait de s’être tiré de ce mauvais

  1. Tallemant, Historiette de Sévigny et de sa femme.
  2. Lettre du 8 mai 1676.
  3. Tallemant, Historiette de Sévigny et de sa femme.