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NOTICE BIOGRAPHIQUE


cères marques d’estime. « Que vous avez d’esprit ! lui disait-il. Que vous écrivez bien ! Que vous êtes aimable ! Il faut avouer qu’étant aussi prude que vous l’êtes, vous m’avez grande obligation de ce que je ne vous aime pas plus que je ne fais. Ma foi, j’ai bien de la peine à me retenir ; tantôt je condamne votre insensibilité, tantôt je l’excuse ; mais je vous estime toujours... Il faut bien vouloir ce que vous voulez et vous aimer à votre mode ; mais vous me répondrez un jour devant Dieu de la violence que je me fais et des maux qui s’en suivront[1]. » Tous les plaidoyers, qu’on ferait pour défendre la vertu de madame de Sévigné, n’en sauraient dire autant que ces témoignages arrachés à un médisant et à un libertin par une sagesse qu’il admirait en la maudissant. Quel panégyrique de biographe complaisant vaudrait des paroles telles que celles-ci ? « Je ne pense pas qu’il y ait au monde une personne si généralement estimée que vous : vous êtes les délices du genre humain... Il n’y a point de femme à votre âge plus vertueuse ni plus aimable que vous. Je connois des princes du sang, des princes étrangers, de grands seigneurs façon de princes, de grands capitaines, des gentilshommes, des ministres d’État, des magistrats et des philosophes, qui fileroient pour vous si vous les laissiez faire[2]. »

Quels étaient ces illustres soupirants, que Bussy ne désigne que par leurs titres et qualités ? Les patientes recherches d’un bénédictin, qui pourraient ici n’être pas à leur place, suffiraient à peine à les exhumer tous de la galante poussière où ils dorment. Contentons-nous de ceux qui se présentent.

On aimerait à connaître par des indices moins vagues que ceux que nous trouvons, si Turenne, comme on l’a dit, fut en effet très-épris de celle qui l’a si bien loué et qui a écrit sur sa mort des pages impérissables. Il est seulement assuré qu’il parla d’elle à Bussy avec beaucoup d’admiration, qu’étant à Paris il avait bien des fois, mais inutilement, cherché à la voir chez elle, et qu’il était bien aise de lui faire savoir qu’il l’avait distinguée entre toutes les femmes[3]. C’est de lui certainement que Bussy voulait parler lorsque, dans son énumération, il nom-

  1. Lettre du 30 juillet 1654.
  2. Lettre du 7 octobre 1655.
  3. Ibid.