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SUR VÂRT POÉTIQUE D’HORACE. 3i5

et pour preuve qu Horace à confondu dans ces vers l’action de la tragédie avec les caractères qui la composent, c’est qu’il exhorte à prendre l’Iliade pour sujet or V Iliade nes’appelle pas un caractère. Il ne veut pas non plus qu’on fasse une tragédie de toute la guerre de Troie: il veut donc qu’on choisisse une action de la guerre de Troie. et qu’on fasse parler les héros qui y entreront d’une manière convenable et digne d’eux. J’ajoute encore, puisque le mot proprie peut recevoir cette signification, qu’il faut que ce soit d’une manière nouvelle et particulière au poëte, afin qu’on nepuisse pas l’accuser d’être le copiste ou le traducteur de ceux qui l’ont précédé. A l’égard de ce que M. D** dit qu’il faut que la fable, c’est-à-dire le plan d’une tragédie soit inventé, j’en tombe d’accord.; mais je n’avoue paspour cela qu’il soit nécessaire que le sujet d’une tragédie soit purement imaginaire, et n’ait aucun fondement dans l’antiquité. Nous savons qu’il y a des actions véritables dont les récits sont des fables. Un auteur célèbre de ce temps l’a démontré admirablement1. Slais pour ne me point embarquer dans une érudition qui est au-dessus de ma portée, je me contenterai d’en rapporter quelques exemples. La clémence d’Auguste envers Cînna et Maxime est très- vraie cependant la manière dont elle est exposée sur le théâtre est une fable. La mort de Phocas et le couronnement d’HéracIius sont très-vrais la manière dont on les a traités dans la comédie est une fable. Ainsi des autres. Enfin il est certain que t’esprit qui règne dans tout le poëme de V Art poétique d’Horace, c’est d’exhorter les poètes à se servir de sujets connus, non pas parce qu’ils sont plus aisés à traiter que les autres, mais parce que les ouvrages en sont plus parfaits. Cette question est décidée par un auteur qui ne sera pas suspect à notre juge, et qui n’est pas inconnu à M. D* C’est Horace lui-même, qui parle ainsi au 243e vers de ce même livre

Tantum de medio sumptis accedit honoris.

M. D** l’a rendu ainsi « Tant les sujets connus sont susceptibles de beautés et de grâces. »

Je prie notre juste et équitable arbitre d’avoir égard à mon bon droit et à toutes mes raisons et s’il me fait gagner mon procès, 1. Sévigné veut-il parler de Corneille, qui vers la fin du second de ses Discours, intitulé « de la Tragédie et des moyens de la traiter selon le vraisemblable et le nécessaire, » touche en effet à cette question, mais sans la démontrer, ce qui réellement eût été, ce semble, fort inutile, tant la chose est, d’elle-même, frappante et hors de doute? Voyez le Corneille de M. MartyLaveaux, tome I, p. 52-97.