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3aa CH. DE SÉVIGNÉ ET DACIER

que tout étoit perdu. Présentement il la reçoit à la bonne heure. Ce consentement va lui coûter bien cher.

M. de S* « Je lui demande, si ces caractères ne sont pas encore inventés, comment sont-ils à l’usage de tout le monde, et au premier occupant? »

Réponse. Je ne m’attendois pas à cette demande, je l’avoue. Ces caractères sont au premier occupant, parce qu’ils ne sont pas encore inventés, et qu’ils sont exposés à tout le monde, que tout le monde a droit de les inventer. S’ils étoient inventés, ils ne seroient plus communia; ils seroient publica materies, comme ceux d’Homère. M. de S* « Une chose ne peut être connue avant que d’être. Le néant n’a point de propriété. »

Réponse. Quand on s’est une fois engagé dans un mauvais chemin, plus on le continue, plus on s’égare. M. de S** tombe ici dans une erreur qui fait bien voir qu’il a employé à d’autres études qu’à celle de la philosophie, lesheures vides que laisse la cour, et le grand loisir que donne la province. On feroit un volume sur cette matière je n’en dirai que quatre mots, persuadé que M. de S* avec le bon esprit qu’it a, ne sera pas rebelle à la lumière. Je vous prie, Monsieur, de suivre les réflexions que je m’en vais faire; elles sont importantes pour la décision.

M. de S* confond être avec exister une chose peut être sans exister, et elle ne peut exister sans être. Le triangle étoit avant qu’aucun homme du monde se fût avisé de faire un triangle; deux et deux faisoient quatre, avant qu’on sût compter et qu’on eût aucune connoissance de l’arithmétique. Ainsi de toutes les vérités. Il en est de même de tous les caractères imaginables ils n’existent pas comme i-uie maison, comme un pré, mais ils n’en sout pas moins. Cela a fait dire par Aristote que les choses mêmes ne sont pas dans notre esprit, mais les formes des choses. Nonsunt res in animo, sed formée rentra1. Tous les caractères nouveaux, et qui n’ont pas encore été inventés, sont dans les trésors de la nature, et par conséquent ils sont communs, communia, et exposés au premier occupant. M. de S* ne veut-il pas m’en croire? Qu’il en croie donc Horace, qui dit dans ce même livre, vers 317

Respicere exemplar eitœ morumque jubebo

Doctum imitatorem, et feras hinc ducere voces.

1. Voyez le Traité de l’âme, livre III, chapitre VIH, 2, lr. 3ai de la traduction de M. Barthélemy-Saint-Hilaire (1846).