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1671

traire à la vérité. Vous pouvez croire que voilà la dernière fois que j’en parlerai ; mais j’ai voulu vous dire la chose tout juste et tout naïvement comme elle s’est passée, et vous faire voir que si j’avois été d’abord en état de songer à quelqu’un, j’aurois songé à lui ; mais quand je sus qu’il savoit mon mal, je fus fâchée de sa négligence. Vous voyez bien que dans tout cela il n’y a rien qui vous empêche d’être fort bons amis. Son amitié est une des consolations de ma vie, elle m’est bonne à tout. Si vous n’êtes fatiguée de ce récit, vous avez une bonne santé ; je fais vœu de n’en faire jamais un si long. Je ferai vos compliments à Paris, quand ce ne seroit que pour la rareté.

Vous avez donc vu un pauvre vieil homme qu’on alloit rouer : il s’est mieux comporté qu’un certain comte de Frangipani, qui fut exécuté il y a deux mois à Vienne, avec plusieurs autres qui avoient conjuré contre l’Empereur. Ce Frangipani se trouva si incapable de supporter la mort en public, qu’il le fallut traîner au supplice. Il se défendit contre le bourreau ; il en fallut quatre pour le tenir ; enfin ils en vinrent à bout, à force de le charcuter[1]. Voilà tout

  1. 5. Mme de Sévigné était mal informée des circonstances de la mort du comte François-Christophe de Frangipani. Il fut exécuté publiquement à Neustadt, le 30 avril 1671, pour avoir conspiré contre l’empereur Léopold Ier. Arrivé sur l’échafaud, il se mit à genoux, ôta sa veste, donna l’ordre à son page d’attacher ses cheveux, et de lui bander les yeux ; puis, se rappelant qu’il devait édifier le peuple, il retira son bandeau, et, prenant à la main le crucifix, il fit une belle remontrance aux assistants. On lui banda les yeux de nouveau. Il se mit à genoux sur un carreau de velours, et reçut un coup qui lui abattit l’épaule droite ; comme il cherchait à se relever, il reçut un second coup qui lui trancha la tête. L’exécuteur, soupçonné de l’avoir manqué à dessein, fut arrêté. On peut voir tout le détail de cette exécution dans l’Histoire des procédures criminelles, etc., des trois comtes Nadasti, Zerin (Zrini) et Frangipani, Amsterdam, 1672. Voyez aussi sur la conjuration les Mémoires de Saint-Simon, tome X, p. 296, 297.