Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 7.djvu/112

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1680 que les autres, et je serai fort aise de le revoir. Mme  de Coulanges n’avoit point de raison particulière pour souhaiter qu’il fît ce voyage ; car il ne l’incommode point du tout.

Mon fils est dans un état très-digne de pitié : il est tellement maigre, desséché, abattu, et sa barbe si longue, que vous ne le reconnaîtriez pas ; cependant, dès qu’il ne sent point de douleur, il joue à l’hombre, il cause, il prend plaisir à être dorloté, et il semble qu’il touche à sa guérison. Quand je pense en quel état on se trouve,

Pour qui ? pour une ingrate[1]… ;

mais c’est encore pis ; car c’est pour une Sylvie[2] que l’on n’aime point du tout, et que l’on n’a jamais aimée. Mme  de Coulanges m’en dit une chose plaisante : elle assure que c’est une joie publique que la guérison de cette personne.

Que dites-vous, ma chère enfant, de l’esprit de Montgobert ? ou plutôt de son cœur ? N’est-ce pas cela dont je vous répondais ? je connoissois ce fond ; il étoit caché sous des épines, sous des chagrins, sous des visions ; et tout cela étoit de l’amitié, et de l’attachement, et de la jalousie ; et quand vous disiez :

Qu’importe de mon cœur, si je fais mon devoir[3] ?

je disois tout le contraire ; je souhaitois toujours de ces conversations heureuses, où tout contribue à se rapprocher ; il n’y a pas un ton, pas une parole qui ne fasse un bon effet. Je vous en ai parlé, il n’étoit pas temps ; il y a tant de choses qui ont leur temps, et qui ne sont pas cuites. Je suis étonnée que Montgobert ne m’ait pas

  1. 6. Nous avons déjà vu cette citation d’Andromaque (acte V, scène iv) voyez tome VI, p. 349.
  2. 7. Dans le texte de 1737 : « pour quelqu’un. »
  3. 8. Vers de Corneille déjà cité ; voyez plus haut, p. 61, note 2.