Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 7.djvu/20

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1680 hier. Je souhaite avec une grande passion d’être hors d’ici, où l’on m’honore trop : je suis extrêmement affamée de jeûne et de silence. Je n’ai pas beaucoup d’esprit ; mais il me semble que je dépense ici ce que j’en ai en pièces de quatre sous, que je jette et que je dissipe en sottises[1] ; et cela ne laisse pas de me ruiner. Je vis hier danser des hommes et des femmes fort bien ; on ne danse pas mieux les menuets et les passe-pieds : justement comme je pensois à vous, j’entends un homme derrière moi qui dit assez haut : « Je n’ai jamais vu si bien danser que Mme la comtesse de Grignan. » Je me tourne, je trouve un visage inconnu ; je lui demande où il avoit vu cette Mme de Grignan ? C’est un chevalier de Cissé, frère de Mme Martel, qui vous a vue à Toulon avec Mme de Sinturion[2]. M. Martel vous donna une fête dans son vaisseau[3], vous dansâtes, vous étiez belle comme un ange. Me voilà ravie de trouver cet homme ; mais, ma pauvre bonne, je voudrois que vous pussiez comprendre l’émotion que me donna votre nom, qu’on me venoit découvrir dans le secret de mon cœur, lorsque je m’y attendois le moins.

J’ai[4] trouvé ici un morceau de lettre à un fort honnête homme, d’un fort honnête homme, qui parle si plaisamment de votre petit freluquet de Monsieur d’Aleth, que j’ai voulu vous l’envoyer, et je voudrois bien que cela vous réjouît autant que moi.

  1. 32. « Et que je dissipe à tort et à travers. » (Éditions de 1737 et de 1754.)
  2. 33. Ce nom ne serait-il pas le même que celui des Centurion, Centurione, de Gênes ?
  3. 34. Il commandait la marine à Toulon, en 1672, et il y reçut Mme de Grignan comme une reine de France. Voyez au tome III, les lettres des 13 et 16 mai 1672.
  4. 35. Ce petit alinéa est seulement dans notre manuscrit, où manque le paragraphe qui termine la lettre.