Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 7.djvu/382

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1685 me demandez la mienne : il vous est si aisé de juger de mes sentiments par les vôtres, que vous êtes coupable quand vous hasardez de me donner des chagrins infinis. Vous ne devez plus être inquiète de moi : c’est le temps qui m’empêche présentement d’exercer ma nouvelle jambe : je la traite encore comme une compagnie, je ne la mets pas à tous les jours ; c’est une étrangère que je veux qui se raccoutume insensiblement avec moi : je ne lui propose rien d’extraordinaire, ni d’extravagant ; quand elle a fait un grand tour, je ne lui demande point, comme je ferois à l’autre, si elle veut recommencer : j’ai enfin des égards pour cette nouvelle revenue.

J’ai fait vos compliments aux pères Esculapes[1] ; je vous en avertis, ils en reçoivent de toute l’Europe : vous n’êtes point dans cette affaire, c’est pourquoi vous ne comprendrez pas la force de mes paroles. Ces bons pères, qui étoient comme des gens prêts à partir avec tache et ignominie, sont transportés d’être rétablis dans leur bonne réputation par le jugement de Salomon ; car l’arrêt du Roi paroît tel. Le duc de Chaulnes en est cru le premier ministre, et c’est une grande circonstance pour eux. Toute la province a dans les mains le factum des pères, et dans l’esprit la persuasion de leur innocence, avec la joie de leur triomphe, et de tout ce qui le suit et qui le précède. Enfin, Monsieur le duc, je me réjouis avec vous de la gloire qui vous en revient, parce que je vous aime et vous honore ; ma fille vous répondra de cette vérité.

Que voulez-vous dire, ma chère enfant, avec vos songes ? de quoi vous mêlez-vous de prendre ma pauvre personne pour l’objet de votre imagination agitée de bile noire ? Vous me voyez dans un état affreux, et cela

  1. Lettre 957. 1. — Les capucins du Louvre. Voyez la lettre du 27 septembre 1684, p. 290, note 6.