Page:Sévigné - Lettres, éd. Monmerqué, 1862, tome 7.djvu/514

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1686 point entrer certains esprits durs et farouches dans le charme et dans la facilité des ballets de Benserade et des fables de la Fontaine : cette porte leur est fermée, et la mienne aussi ; ils sont indignes de jamais comprendre ces sortes de beautés, et sont condamnés au malheur de les improuver, et d’être improuvés aussi des gens d’esprit[1]. Nous avons trouvé beaucoup de ces pédants. Mon premier mouvement est toujours de me mettre en colère, et puis de tâcher de les instruire ; mais j’ai trouvé la chose absolument impossible. C’est un bâtiment qu’il faudroit reprendre par le pied : il y auroit trop d’affaires à le vouloir réparer ; et enfin nous trouvions qu’il n’y avoit qu’à prier Dieu pour eux ; car nulle puissance humaine n’est capable de les éclairer. C’est le sentiment que j’aurai toujours pour un homme qui condamne le beau feu et les vers de Benserade, dont le Roi et toute la cour a fait ses délices, et qui ne connoît pas les charmes des fables de la Fontaine. Je ne m’en dédis point, il n’y a qu’à prier Dieu pour un tel homme, et qu’à souhaiter de n’avoir point de commerce avec lui. J’aimerois fort au contraire à connoître celui qui vous a loué si agréablement[2] ; notre cher Corbinelli vous dira mieux que moi l’approbation naturelle que nous avons donnée à ses vers ; je lui laisse la plume, après vous avoir embrassé, et votre aimable fille. Croyez l’un et l’autre que je ne cesserai de vous aimer que quand nous ne serons plus du même sang.

  1. 5. « Des gens à qui Dieu a donné assez bon esprit pour les goûter. » (Manuscrit de la Bibliothèque impériale.) — Ce même manuscrit donne, à la ligne suivante : « beaucoup de ces gens-là ; » deux lignes après : « mais j’ai trouvé que c’est une chose, etc. ; » un peu plus loin, les mots : « à le vouloir réparer, » manquent ; à la même ligne : « qu’il n’y avoit » est remplacé par « qu’il n’y a. »
  2. 6. M. de Grammont. Voyez la lettre du 25 avril précédent, p. 498, et la note 7.