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1689

1186. DE MADAME DE SÉVIGNÉ

A MADAME DE GRIGNAN.

Aux Rochers, ce mercredi 15è juin.

Quelle différence, ma chère Comtesse, de la vie que vous faites à Avignon, toute à la grande, toute brillante, toute dissipée, avec celle que nous faisons ici, toute médiocre, toute simple, toute solitaire! Cela est dans l’ordre, et dans l’ordre de Dieu, et je ne saurois croire que quelque coin d’anachorète que vous ayez, ces honneurs et ces respects sincères, par des gens de qualité et de mérite, puissent vous déplaire ; j’aurois peine à le croire, quand vous le diriez1[1] en vérité, il n’est pas naturel de ne point aimer quelquefois des places qui sont au-dessus des autres. Quand je lis, dans la vie de ce vieux duc d’Épernon[2] , quelles douleurs il eut d’être forcé à quitter son beau gouvernement de Provence, toutes ces belles villes, dit l’historien, si grandes, si considérables ; combien M. de Guise[3] s’en trouva respecté et content ; quelle marque ce fut de sa paix sincère avec le Roi ; quelle joie il avoit d’y être aimé et respecté : je comprends que Dieu vous ayant donné la même place, avec tous les agréments, toutes les distinctions, et les marques de confiance que vous avez encore, en vérité il n’y auroit pas de raison ni de sincérité à trouver que c’est la plus ridicule et la plus désagréable chose du monde. Je pense que tout

  1. LETTRE 1186 (revue en partie sur une ancienne copie). 1. Ce membre de phrase : «  j’aurois peine à le croire, quand vous le diriez, » n’est pas dans le texte de 1737. »
  2. 2. Voyez ci-dessus, p. 34, note 11, p. 41 et 42, et le livre IV de la Vie du duc d'Épernon.
  3. 3. Charles de Lorraine, né en 1671, mort en 1640. Battu par Henri IV devant Rouen, il fit sa soumission et reçut le gouvernement de la Provence (1754). Voyez l’Histoire des Français, de M. Lavallée, tome III, p. 35 et 36.