Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/106

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ces de provision. Je vois bien que tout ce qu’on m’a dit de vos aventures à votre arrivée n’est pas vrai ; j’en suis très-aise ; ces sortes de petits procès dans les villes de province, où l’on n’a rien autre chose dans la tête, font une éternité d’éclaircissements, et c’est assez pour mourir d’ennui. Mais vous êtes bien plaisante, madame la comtesse, de montrer mes lettres : où est donc ce principe de cachotterie pour ce que vous aimez ? Vous souvient-il avec quelle peine nous attrapions les dates de celles de M. de Grignan ? Vous pensez m’apaiser par vos louanges, et me traiter toujours comme la Gazette de Hollande ; je m’en vengerai. Vous cachez les tendresses que je vous maDde, friponne ; et moi je montre quelquefois, et à certaines gens, celles que vous m’écrivez. Je ne veux pas qu’on croie que j’ai pensé mourir, et que je pleure tous les jours, pour qui ? pour une ingrate. Je veux qu’on voie que vous m’aimez, et que, si vous avez mon cœur tout entier, j’ai une place dans le vôtre. Je ferai tous vos compliments. Chacun me demande : Ne suis-je point nommé ? Et je dis : Non, pas encore, mais vous le serez. Par exemple, nommez-moi un peu M. d’Ormesson, et les Mesmes[1] ; il y a presse à votre souvenir ; ce que vous envoyez ici est tout aussitôt enlevé : ils ont raison, ma fille, vous êtes aimable, et rien n’est comme vous. Voilà, du moins, ce que vous cacherez, car, depuis Niobé, jamais une mère n’a parlé comme je fais. Pour M. de Grignan, il peut bien s’assurer que, si je puis quelque jour avoir sa femme, je ne la lui rendrai pas. Comment ! ne me pas remercier 'd’un tel présent ! ne me point dire qu’il est transporté ! Il m’écrit pour me la demander, et ne me remercie point quand je la lui donne. Je comprends pourtant qu’il peut fort bien être accablé ainsi que vous ; ma colère ne tient à guère, et ma tendresse pour vous deux tient à beaucoup. Tout ce que vous me mandez est très-plaisant ; c’est dommage que vous n’ayez eu le temps d’en dire davantage. Mon Dieu ! que j’ai d’envie de recevoir de vos lettres ! Il y a déjà près d’une demi-heure que je n’en ai reçu. Je ne sais aucune nouvelle : le roi se porte fort bien ; il va de Versailles à Saint-Germain, de Saint- Germain à Versailles ; tout est comme il était. La reine fait souvent ses dévotions, et va au salut du saint sacrement. Le père Bourdaloue prêche : bon Dieu ! tout est au-dessous des louanges qu’il mérite. L’autre jour notre

  1. Jean-Antoine de Mesmes, président à mortier, et son fils Jean-Jacques, comte d’Avaux.