Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/114

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vous obliger à revoir mon procès. Il est vrai que je fis une grande faute ; mais aussi d’être pendue haut et court, comme je le fus, c’était une grande punition. La chanson de M. de Coulanges était bonne aussi ; il y a plaisir de vous envoyer des folies, vous y répondez délicieusement. Vous savez que rien n’attrape tant que quand on croit avoir écrit pour divertir ses amis, et qu’il arrive qu’ils n’y prennent pas garde, ou qu’ils n’en disent pas un mot. Vous n’avez pas cette cruauté ; vous êtes aimable en tout et partout : hélas ! combien vous êtes aimée aussi ! combien de cœurs où vous êtes la première ! Il y a peu de gens qui puissent se vanter d’une telle chose. M. de Coulanges vous écrit la plus folle lettre du monde, et d’après le naturel ; elle m’a fort divertie. Enfin, les femmes sont folles ; il semble qu’elles aient toutes la tête cassée : on leur met le premier appareil, et elles se reposent comme d’une opération : cette folie vous réjouirait fort, si vous étiez ici. Je fus hier chez M. de la Rochefoucauld ; je le trouvai criant les hauts cris ; ses douleurs étaient à un tel point, que toute sa constance était vaincue, sans qu’il en restât un seul bien ; l’excès de ces douleurs l’agitait dételle sorte qu’il était en l’air dans sa chaise avec une fièvre violente. Il me fit une pitié extrême ; je ne l’avais jamais vu en cet état ; il me pria de vous le mander, et de vous assurer que les roués ne # souffrent point en un moment ce qu’il souffre la moitié de sa vie, et qu’aussi il souhaite la mort comme le coup de grâce : sa nuit n’a pas été meilleure.

Je reçois présentement votre lettre, et me voilà toute seule dans ma chambre pour vous écrire et vous faire réponse. Au sortir d’un lieu où j’ai dîné, je reviens fort bien chez moi ; et quand j’y trouve une de vos lettres, j’entre et j’écris : rien n’est préféré à ce plaisir, et je languis après les jours de poste. Ah ! ma fille, qu’il y a de différence de ce que j’ai pour vous, et de ce que l’on a pour quelqu’un qu’on n’aime point ! Vous voulez que je lise de sang-froid le récit du péril que vous avez couru ; j en ai été encore plus effrayée par les lettres qu’on m’a montrées d’Avignon et d’ailleurs, que par les vôtres. Je comprends bien le dépit qui fit dire à M. de Grignan : Vogue la galère. En vérité, vous êtes quelquefois capable de mettre au désespoir ; si vous m’aviez caché cette aventure, je l’aurais apprise d’ailleurs, et je vous en aurais su très-mauvais gré. Je vous assure que je serai très-mal-contente de M. de Marseille, s’il ne fait ce que nous souhaitons. Il a beau dire, je ne tâte point de son