Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/115

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amour pour la Provence : quand je vois qu’il ne dit rien pour empêcher les quatre cent cinquante mille francs, et qu’il ne s’écrie que sur une bagatelle, je suis sa très-humble, servante. J’ai une extrême impatience de savoir ce qui sera enfin résolu. Madame d’Angoulême m’a dit qu’on lui avait mandé que vous étiez la personne du monde la plus polie ; elle vous fait mille compliments. Je crains plus que vous mon voyage de Bretagne ; il me semble que ce sera encore une autre séparation, une douleur sur une douleur, et une absence sur une absence : enfin je commence à m’affliger tout de bon ; ce sera vers le commencement de mai. Pour mon autre voyage, dont vous m’assurez que le cheminest libre, vous savez qu’il dépend de vous ; je vous l’ai donné : vous manderez à d’Hacqueville en quel temps vous voulez qu’il soit placé. M. de Vivonnne abonne mémoire de me faire un compliment si vieux, faites-lui mes compliments, je lui écrirai dans deux ans. N’êtesvous pas à merveille avec Bandol [1] ? Dites-lui mille amitiés pour moi : il a écrit une lettre à M. de Coulanges, une lettre qui lui ressemble, et qui est aimable. Prenez garde, au reste, que votre paresse ne vous fasse perdre votre argent au jeu ; ces petites pertes fréquentes sont comme les petites pluies qui gâtent bien les chemins. Je vous embrasse, ma chère fille. Si vous pouvez aimezmoi toujours, puisque c’est la seule chose que je souhaite en ce monde pour la tranquillité de mon âme. Je fais bien d’autres souhaits pour ce qui vous regarde : enfin, tout tourne ou sur vous, ou de vous, ou par vous.


38. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Livry, mardi saint 24 mars 1671.

Voici une terrible causerie, ma chère enfant ; il y a trois heures que je suis ici. Je suis partie de Paris avec l’abbé, Hélène, Hébert et Marphise[2], dans le dessein de me retirer du monde et du bruit pour jusqu’à jeudi au soir : je prétends être en solitude ; je fais de ceci une petite Trappe, je veux y prier Dieu, y faire mille réflexions : j’ai résolu d’y jeûner beaucoup pour toutes sortes de raisons, de marcher pour tout le temps que j’ai été dans ma chambre, et surtout de m’ ennuyer pour l’amour de Dieu. Mais ce que je ferai

  1. Le président de Bandol.
  2. Hélène, femme de chambre de madame de Sévigné ; Hébert, son valet de chambre, et Marphise, sa chienne.