Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

où vous dites qu’il a deux côtes rompues le fit éclater : nous vous souhaitons toujours quelque sorte de folie qui vous divertisse, mais nous craignons bien que celle-là n’ait été meilleure pour nous que pour vous. Après tout, nous vous plaignons bien de n’entendre parler de Dieu que de cette sorte. AhîJBourdaloue ! il fit, à ce qu’on m’a dit, une passion plus parfaite que tout ce qu’on peut imaginer : c’était celle de l’année passée qu’il avait rajustée, selon ce que ses amis lui avaient conseillé, afin qu’elle fût inimitable. Comment peut-on aimer Dieu, quand on n’entend jamais bien parler de lui ? Il vous faut des grâces plus particulières qu’aux autres. Nous entendîmes l’autre jour l’abbé de Montmort[1] ; je n’ai jamais ouï un si beau jeune sermon ; je vous en souhaiterais autant à la place de votre minime. Il fit le signe de la croix, il dit son texte ; il ne nous gronda point, il ne nous dit point d’injures ; il nous pria de ne point craindre la mort, puisqu’elle était le seul passage que nous eussions pour ressusciter avec Jésus-Christ. Nous le lui accordâmes, nous fûmes tous contents. Il n’a rien qui choque : il imite M. d’Agen sans le copier ; il est hardi, il est modeste, il est savant, il est dévot : enfin, j’en fus contente au dernier point.

Madame de Vauvineux vous rend mille grâces ; sa fille a été très-mal. Madame d’Arpajon vous embrasse mille fois, et surtout M. le Camus vous adore : et moi, ma chère enfant, que pensezvous que je fasse ? Vous aimer, penser à vous, m’ attendrir à tout moment plus que je ne voudrais, m’occuper de vos affaires, m’inquiéter de ce que vous pensez, sentir vos ennuis et vos peines, les vouloir souffrir pour vous, s’il était possible ; écumer votre cœur comme j’écumais votre chambre des fâcheux dont je la voyais remplie ; en un mot, comprendre vivement ce que c’est d’aimer quelqu’un plus que soi-même, voilà comme je suis : c’est une chose qu’on dit souvent en l’air ; on abuse de cette expression ; moi, je la répète, et sans la profaner jamais, je la sens tout entière en moi, et cela est vrai.


42. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GiUGNAN.

À Paris, samedi 4 avril 1671.

Je vous mandai l’autre jour[2] la coiffure de madame de Nevers,

  1. Depuis évêque de Perpignan.
  2. Voyez la lettre du 18 mars 1671, p. 102.