Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/126

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core plus chaud que moi, et je ne pouvais, en effet, me l’imaginer sans chagrin. Je veux vous dire, ma chère enfant que le chocolat n’est plus avec moi comme il était : la mode m’a entraînée, comme elle fait toujours : tous ceux qui m’en disaient du bien m’en disent du mal ; on le maudit, on l’accuse de tous les maux qu’on a ; il est la source des vapeurs etdes palpitations ; il vous flatte pour un temps, et puis vous allume tout d’un coup une lièvre continue, qui vous conduit à la mort. Enfin, ma fille, le grand maître[1], qui en vivait, est son ennemi déclaré : vous pouvez penser si je puis être d’un autre sentiment[2]. Au nom de Dieu, ne vous engagez point à le soutenir, et songez que ce n’est plus la mode du bel air. Je n’ai point encore vu Gacé ; je crois que je l’embrasserai : bon Dieu ! un homme qui vous a vue, qui vient de vous quitter, qui vous a parlé, comme cela me paraît !

Je suis bien aise que vous ayez compris la coiffure, c’est justement ce que vous aviez toujours envie de faire ; ce taponnage vous est naturel, il est au bout de vos doigts : vous avez cent fois pensé l’inventer, mais vous avez bien fait de ne point prendre cette mode à la rigueur. Le bel air est de se peigner, pour contrefaire la tête naissante ; cela est fait dans un moment. Vos dames sont bien loin de là, avec leurs coiffures glissantes de pommade, et leurs cheveux de deux paroisses : cela est bien vieux. Votre peinture du cardinal Grimaldi[3] est excellente : cela mord-il ? est plaisant au dernier point, et m’a bien fait rire ; je vous souhaite de pareilles visions pour vous divertir. Enfin Montgobert sait rire ; elle entend votre langage : quelle est heureuse d’avoir de l’esprit, et d’être auprès de vous ! Les esprits où il n’y a point de remède font bouillir le sang. Je vous remercie de vous souvenir du reversis, et de jouer au mail ; c’est un aimable jeu pour les personnes bien faites et adroites comme vous : je m’en vais y jouer dans mon désert. À propos de désert, je crois qu’Adhémar vous aura mandé comme le laquais du coadjuteur, qui était à la Trappe, en est revenu à demi fou, n’ayant pu supporter ces austérités : on cherche un couvent de coton pour l’y mettre, et le remettre de l’état où il est. Je crains que cette

  1. Le comte du Lude.
  2. On avait dit que le comte du Lude aimait madame de Sévigné ; mais comme c’était un de ces hommes dont l’attachement ne nuit point à la réputation des dames, madame de Sévigné en plaisantait la première. Voyez les Amours des Gaules, du compte de Bussy.
  3. Archevèque d’Aix.