Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/127

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Trappe[1] qui veut, surpasser l’humanité, ne devienne les PetitesMaisons.

Je pleurais amèrement en vous écrivant à Livry, et je pleure encore en voyant de quelle manière tendre vous avez reçu ma lettre, et l’effet qu’elle a produit dans votre cœur. Les petits esprits se sont bien communiqués, et sont passés bien fidèlement de Livry en Provence : si vous avez les mêmes sentiments toutes les fois que je suis sensiblement touchée de vous, je vous plains, et vous conseille de renoncer à la sympathie. Je n’ai jamais rien vu de si aisé à trouver que la tendresse que j’ai pour vous : mille choses, mille pensées, mille souvenirs, me traversent le cœur ; mais c’est toujours de la manière que vous pouvez le souhaiter : ma mémoire ne me représente rien que de doux et d’aimable ; j’espère que la vôtre fait de même. La lettre que vous écrivez à votre frère est admirable. Vous avez très-bien deviné ; il est dans le bel air par-dessus les yeux : point de pâques, point de jubilé. Je n’ai rien trouvé de bon en lui, que la crainte de faire un sacrilège ; c’était mon soin aussi que de lui en donner de l’horreur : mais la maladie de son âme est tombée sur son corps, et ses maîtresses sont d’une manière à ne pas supporter cette incommodité avec patience : Dieu fait tout pour le mieux. J’espère qu’un voyage en Lorraine rompra toutes ces vilaines chaînes-là. Il est plaisant, il dit qu’il est comme le bonhomme Éson, il veut se faire bouillir dans une chaudière avec des herbes fines, pour se ravigoter un peu ; il me conte toutes ses folies, je le gronde, et je fais scrupule de les écouter ; et pourtant je les écoute. Il me réjouit, il cherche à me plaire ; je connais la sorte d’amitié qu’il a pour moi ; il est ravi, à ce qu’il dit, de celle que vous me témoignez ; il me donne mille attaques en riant sur l’attachement que j’ai pour vous : je vous avoue, ma fille, qu’il est grand, lors même que je le cache. Je vous avoue encore une autre chose, c’est que je crois que vous m’aimez : vous me paraissez solide ; il me semble qu’on peut se fier à vos paroles, et cela fait aussi que je vous estime fort. Vos messieurs commencent à s’accoutumer à vous ; les pauvres gens ! Et les dames ne vous ont pas encore bien goûtée.

  1. Il n’y avait guère que huit ans que l’abbé de Rancé l’avait réformée.