Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/130

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demeurer aujourd’hui. Voilà ce que Moreuil m’a dit, espérant que je vous le manderais. Je jette mon bonnet par-dessus les moulins, et je ne sais rien du reste. M. d’Hacqueville, qui était à tout cela, vous fera des relations sans doute ; mais comme son écriture n’est pas si lisible que la mienne, j’écris toujours ; et si je vous mande cette infinité de détails, c’est que je les aimerais en pareille occasion.


48. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Commencée à Paris le lundi 27 avril 1671.

Monsieur, madame de Villars et la petite Saint-Gerand sortent d’ici, et vous font mille et mille amitiés ; ils veulent la copie de votre portrait qui est sur ma cheminée, pour la porter en Espagne [1]. Ma petite enfant a été tout le jour dans ma chambre, parée de ses belles dentelles, et faisant l’honneur du logis ; ce logis qui me fait tant songer à vous, où vous étiez il y a un an comme prisonnière ; ce logis que tout le monde vient voir, que tout le monde admire, et que personne ne veut louer. Je soupai l’autre jour chez le marquis d’Uxelles, avec madame la maréchale d’Humières, mesdames d’Arpajon, deBeringhen, de Frontenac, d*Outrelaise, Raimond et Martin ; vous n’y fûtes point oubliée. Je vous conjure, ma fille, de me mander sincèrement des nouvelles de votre santé, de vos desseins, de ce que vous souhaitez de moi. Je suis triste de votre état, je crains que vous ne le soyez aussi ; je vois mille chagrins, et j’ai une suite de pensées dans ma tête, qui ne sont bonnes ni pour la nuit ni pour le jour.

À Livry, mercredi 29 avril.

Depuis que j’ai écrit ce commencement de lettre, j’ai fait un fort joli voyage. Je partis hier assez matin de Paris ; j’allai dîner à Pomponne ; j’y trouvai notre bonhomme[2] qui m’attendait ; je n’aurais pas voulu manquer à lui dire adieu. Je le trouvai dans une augmentation de sainteté qui m’étonna : plus il approche de la mort, plus il s’épure. Il me gronda très-sérieusement ; et, transporté de zèle et d amitié pour moi, il me dit que j’étais folle de ne point songer à me convertir ; que j’étais une jolie païenne ; que je faisais de vous une idole dans mon cœur ; que cette sorte d’ido

  1. Le marquis de Villars était nommé ambassadeur en Espagne.
  2. M. Arnauld d’Andilly, âgé alors de 83 ans.