Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/131

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

latrie était aussi dangereuse qu’une autre, quoiqu’elle me parut moins criminelle ; qu’enfin je songeasse à moi : il me dit tout cela si fortement, que je n’avais pas le mot à dire. Enfin, après six heures d£ conversation très-agréable, quoique très-sérieuse, je le quittai, et vins ici, où je trouvai tout le triomphe du mois de mai : le rossignol, le coucou, la fauvette, ont ouvert le printemps dans nos forêts ; je m’y suis promenée tout le soir toute seule ; j’y ai trouvé toutes mes tristes pensées : mais je ne veux plus vous en parler. J’ai destiné une partie de cette après-dînée à vous écrire dans le jardin, où je suis étourdie de trois ou quatre rossignols qui sont sur ma tête. Ce soir je m’en retourne à Paris, pour faire mon paquet et vous l’envoyer.

Il est vrai, ma fille, qu’il manqua un degré de chaleur à mon amitié, quand je rencontrai la chaîne des galériens ; je devais aller avec eux, au lieu de ne songer qu’à vous écrire. Que vous eussiez été agréablement surprise à Marseille, de me trouver en si bonne compagnie ! Mais vous y allez donc en litière : quelle fantaisie ! J’ai vu que vous n’aimiez les litières que quand elles étaient arrêtées : vous êtes bien changée. Je suis entièrement du parti des médisants : tout l’honneur que je vous puis faire, c’est de croire que jamais vous ne vous seriez servie de cette voiture, si vous ne m’aviez point quittée, et que M. de Grignan fut resté dans sa Provence. Madame de la Fayette craint toujours pour votre vie : elle vous cède sans difficulté la première place auprès de moi, à cause de vos perfections ; et quand elle est douce, elle dit que ce n’est pas sans peine ; mais enfin cela est réglé et approuvé : cette justice la rend digne de la seconde, elle l’a aussi ; iaTroche s’en meurt. Je vais toujours mon train, et mon train aussi pour la Bretagne ; il est vrai que nous ferons des vies bien différentes : je serai troublée dans la mienne par les états, qui me viendront tourmenter à Vitré sur la fin du mois de juillet ; cela me déplaît fort. Votre frère n’y sera plus en ce temps-là. Ma fille, vous souhaitez que le temps marche, pour nous revoir ; vous ne savez ce que vous faites, vous y serez attrapée : il vous obéira trop exactement, et quand vous voudrez le retenir, vous n’en serez plus la maîtresse. J’ai fait autrefois les mêmes fautes que vous, je m’en suis repentie ; et, quoique le temps ne m’ait pas fait tout le mal qu’il fait aux autres, il Délaisse pas de m’avoir ôté mille petits agréments, qui ne laissent que trop de marques de son passage.